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La mort, pour ou contre ? |
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Le 8 août 2009, St Dominique |
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Voici le titre qu'un crétin de bachelier avait donné il y a quelques années à sa dissertation philosophique. C'est consternant en soi, mais qu'attendre d'autre dans une société qui est tombée dans le dernier stade de l'abrutissement intellectuel, moral et spirituel ? Alors ma foi, puisque nous périssons et qu'humainement tout est perdu, autant rire quelques secondes de ce titre ahurissant. |
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Par les temps (ou plutôt la fin des temps) qui courent, on peut légitimement se demander si on sera encore là, sur cette terre de malheur, dans un an, voire même dans quelques mois. Une seule chose est certaine pour le sort de l'homme en ce monde : il va mourir. Je suis né, donc un jour, je mourrai. Qu'importe que ce soit dans mon lit ou devant un peloton d'exécution ? Pourquoi serait-ce si difficile ? Des millions de personnes l'ont fait avant moi : mourir...le tout étant de BIEN mourir, c'est à dire, en Dieu, et non comme un chien. |
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La souffrance physique (famine, maladies, tortures...) fait davantage peur. On se demande surtout si on aura la force nécessaire pour rester fidèle à Notre Seigneur même sous les pires tortures...
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C'est donc le moment ou jamais de relire ce cher Thomas More, qui certes n'a pas trouvé la force d'affronter un long martyre (prison, manque de nourriture et de sommeil, froid glacial pendant des mois, harcèlement moral au cours de nombreuses comparutions devant des tribunaux iniques, et finalement l'échafaud) du jour au lendemain, mais s'y est longuement préparé. |
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Je recommande vivement la méditation de son oeuvre sous forme de dialogue Traité du réconfort dans les tribulations, qu'on peut lire ici par exemple.
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Un jeune homme, Vincent, interroge son oncle, Antoine, au sujet des terreurs qui ont saisi le pays à l'approche d'un grand péril : une invasion mahométane. L'oncle apporte son réconfort à son neveu, en lui exposant les raisons de ne pas se laisser dévorer par la peur, face à des périls croissants en intensité : la perte des biens, l'esclavage, la torture, le martyre. |
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Peut-être St Thomas More a-t-il écrit ce traité par intuition de ce qu'il devrait lui-même affronter quelques années plus tard ... Peut-être cette inspiration lui a-t-elle été donnée pour nous, à travers les siècles qui nous séparent de lui ? |
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Nous sommes menacés par des ennemis redoutables et divers, coincés comme une tranche de jambon entre la tranche de pain des illuminati et celle de l'islam...Il est probable que les illuminati essaieront d'abord de détruire de fond en comble l'islam en le remplaçant par un faux-islam, de la même manière qu'ils ont fait avec le Catholicisme, qu'ils ont presque entièrement détruit au moyen de "vatican2", ainsi que le remarque le géopolitologue Pierre Hillard. Une chose est sure, l'islam veut nous dévorer, nous asservir à ses lois infâmes. Les illuminati veulent asservir le monde entier pour, comme ils le proclament eux-mêmes, l' offrir à leur dieu, Lucifer. Du reste, bien qu'ennemies, ces deux sectes n'oeuvrent pas moins dans le même but, car quel est donc le dieu de Mahomet si ce n'est Satan (déguisé en archange Gabriel) ? Tout royaume divisé contre lui-même périra, et le royaume de Satan est morcellé...Nous aurons la victoire, le Christ et la Sainte Vierge vaincront, mais en attendant, il nous faut vivre et/ou mourir. Voici donc quelques extraits du livre de St Thomas More, de précieuse méditation. |
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DE LA SOUFFRANCE CORPORELLE - IL NE FAUT PAS PERDRE COURAGE PENDANT UNE PERSÉCUTION VINCENT : Mon oncle, (...), il me semble, à présent, que si les Turcs me prennent tout ce que j’ai, jusqu'à ma chemise, s'ils m'offrent cinq fois plus que je ne possède pour que j'embrasse leur croyance, je choisirai la sainte religion du Christ. Mais, mon oncle, quand je pense aux souffrances qui peuvent m'atteindre dans ma chair, je me mets à trembler. ANTOINE : Cela ne m'étonne pas, et vous ne devez pas en être découragé. Notre-Seigneur lui-même a ressenti dans sa chair une grande terreur en face de sa cruelle Passion. Je puis vous affirmer que votre raison ne se laissera pas abattre par cette terreur de la chair, non, elle résistera virilement, et dans votre envie de fuir cette mort cruelle, méditez sur la mort de Notre-Seigneur. Lui-même, si vous le désirez vraiment, ne manquera pas de vous soutenir dans votre lutte et vous donnera la grâce de vous soumettre et de conformer votre volonté à la sienne, comme lui-même soumit sa volonté à celle de son Père. Le Saint-Esprit vous réconfortera secrètement, de même que l'ange est venu réconforter le Christ après son agonie. Vous, en vrai disciple, vous le suivrez, sans murmure et avec bonne volonté, vous prendrez votre croix et vous mourrez avec lui, pour la vérité. Ensuite, vous régnerez avec lui dans la gloire éternelle. Je dis ceci pour que celui qui éprouve de l'horreur à la vue de la mort ne succombe pas à la peur dégradante de la chute, car plus d'un homme qui a ressenti cette peur résiste fermement, et soutient mieux le choc que d'autres qui n'ont jamais éprouvé aucune peur. Mais il se peut aussi que le choc ne se produise jamais, car il y a beaucoup de demeures dans la maison du Père et Dieu n'exalte pas chaque homme de bien jusqu'à la gloire du martyre. Mais, prévoyant la faiblesse de certains, sachant que, même s'ils sont de bonne volonté et courageux ils agiraient comme saint Pierre et que leur âme risquerait l'éternelle damnation, il trouve le moyen de leur épargner le martyre, comme il le trouva pour ses disciples quand lui-même fut volontairement pris, ou encore ; il les fait échapper, à la manière de saint Jean l'évangéliste qui laissa ses vêtements entre les mains de ses poursuivants et s'enfuit nu. Il les délivre parfois de la prison où ils sont enfermés, comme il le fit pour saint Pierre. Parfois encore, il les appelle à lui directement de la prison et ne permet pas qu'ils endurent les tourments auxquels ils étaient destinés ; c'est ce qu'il fit pour plus d'un saint. Parfois encore il permet qu'ils endurent leur supplice mais non qu'ils y succombent, et ils y survivent de nombreuses années, et meurent de leur mort naturelle, comme saint Jean l'évangéliste et beaucoup d'autres, ainsi que nous pouvons le lire dans des récits, comme ceux que rapporte saint Cyprien. Nous ne pouvons prévoir quel moyen Dieu utilisera pour nous. Mais, si nous sommes de vrais chrétiens, nous devons espérer, avec l'aide de Dieu, endurer patiemment toutes les tortures que pourraient nous faire subir les Turcs. Si nous soumettons notre volonté à la sienne, si nous prions pour obtenir sa grâce, nous sommes assurés qu'il ne permettra pas qu'on nous inflige plus de tourments que nous n'en pouvons supporter. Nous savons aussi qu'en nous tentant comme ils le feront, ils nous offriront un sûr moyen de salut. « Dieu est fidèle », dit saint Paul, « il ne veut pas que vous soyez tentés au delà de vos forces et, avec la tentation, il vous apportera aussi le moyen d'en sortir » (I Cor., 10, 13). Ou bien il veut simplement nous effrayer, pour éprouver notre foi, pour nous inciter à demander sa grâce, ou peut-être, permettra-t-il que nous tombions dans leurs mains, et alors, à condition que nous lui restions fidèles et que nous ne cessions de demander son aide. « Sa vérité nous enveloppera comme un bouclier », et « nous ne craindrons pas le démon de midi. » Les Turcs, ses persécuteurs, qui envahiront notre pays, n'auront pas le pouvoir de nous toucher, et s'ils l'ont, la courte peine qu'ils nous infligeront nous assurera l'éternelle récompense, à la fois dans notre âme et dans notre corps. Cher neveu, nous devons avoir l'âme en paix, car nous sommes, par notre foi, absolument certains que l'Écriture sainte est la parole de Dieu, et la parole de Dieu ne peut être que vraie, et il nous a promis, par la bouche de son Apôtre bien-aimé, que nous ne serions pas tentés au delà de nos forces ; il nous a promis de nous fournir le moyen d'en sortir, comme il avait déjà promis de nous envelopper de son bouclier, pour que nous n'ayons plus de raison de craindre le démon de midi et ses assauts. Nous ne pouvons, dès lors, qu'être certains (à moins que nous ne soyons honteusement pusillanimes, et que notre foi soit faible, que notre amour pour Dieu soit tiède et même frigide), nous pouvons être assurés, dis-je, que Dieu n'acceptera pas que les Turcs envahissent le pays, ou que s'ils l'envahissent, il nous donnera une telle force de résistance qu'ils ne l'emporteront pas. Si, malgré tout, ils devaient l'emporter, à condition que nous choisissions le chemin dont je vous ai parlé, nous ne souffrirons guère de leurs persécutions et peut-être même pas du tout, et ce qui paraîtra un mal sera en réalité un bien. Car si Dieu nous fait et nous garde bons, comme il nous l'a promis, si nous l'en prions, alors il en sera pour nous comme pour les gens de bien dont parle l'Écriture, et nous tirerons du bien de toutes choses (Mt., 12, 35 ; Lc 4, 45). Dieu connaît l'avenir et nous l'ignorons ; prenons donc la résolution de rester fermes dans sa foi et de résister aux persécutions. S'il nous arrivait de succomber à la peur, que ce soit par lâcheté ou parce que nous avons perdu la grâce à cause de nos péchés, nous aurons eu, cependant, le mérite de nos bonnes pensées et il est bien possible que Dieu nous rétablisse par la suite dans sa grâce. Si cette persécution a lieu, nous serons fortifiés par nos méditations et nos bonnes résolutions, et nous aurons plus de chances de résister. S'il se fait que les Turcs ne nous envahissent pas, soit qu'ils rencontrent une trop forte résistance, soit que nous nous soyons suffisamment amendés, alors, pardi, cette bonne résolution nous vaudra des mérites que nous n'aurons vraiment pas payés trop cher. Si, au contraire, par crainte d'une peine corporelle que se serait forgée notre esprit, nous nous laissions aller en pensée à renier Notre-Seigneur, alors, que les Turcs viennent ou non, cela ne changera rien au fait que c'est nous qui aurons quitté Dieu. S'ils ne viennent pas, s'ils sont mis en fuite, quelle honte ce serait de l'avoir abandonné pour une peine que nous n'aurions même pas subie ! VINCENT : Mon oncle, je vous remercie, ce que vous venez de dire sur la douleur physique m'a merveilleusement réconforté. ANTOINE : J'en suis heureux ; mon cher neveu, mais, s'il en est ainsi, c'est Dieu que vous devez remercier et non moi, car je ne puis dire de bonnes paroles qu'inspiré par lui et toutes les bonnes paroles prononcées de par le monde, même celles qui viennent de sa bouche, ne peuvent éclairer ni fortifier une âme sans le secours de l'Esprit-Saint ; mais Dieu est toujours prêt à envoyer son Esprit-Saint ; c'est nous qui ne sommes pas toujours prêts à le recevoir. |
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DE LA CRAINTE QU'INSPIRE UNE MORT HONTEUSE ET PÉNIBLE
ANTOINE : Je ne nierai pas, mon cher neveu, que c'est bien là que le bât blesse. Pourtant, vous voyez qu'ici aussi la peur augmente ou diminue suivant les pensées que nous avons cultivées en notre esprit et qui s'y sont enracinées. On peut voir des gens accorder tant d'importance à leurs richesses, qu'ils craignent moins la mort que la perte de leurs biens. Oui, on voit parfois un homme supporter des tortures si horribles que n'importe qui eût préféré mourir plutôt que de les supporter et cela pour ne pas dévoiler où il a caché son argent. Vous avez certainement entendu vous-même raconter que des hommes, pour l'une ou l'autre raison, n'ont pas hésité à mourir volontairement dans l'abaissement et dans les souffrances. Cela vous montre l'importance de l'esprit avec lequel on les affronte. Considérons pour commencer cette chose que nous craignons tant : une mort humiliante et pénible.
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LA MORT, CONSIDÉRÉE EN SOI-MÊME, N'EST QU'UN DÉPART DE CETTE VIE Je comprends bien, par ces deux adjectifs dont vous la qualifiez : humiliante et pénible, que la mort vous paraîtrait moins horrible si elle vous arrivait sans douleur et sans honte. VINCENT : Sans aucun doute, mon oncle, beaucoup moins. Mais, malgré cela, je connais bien des gens qui ne veulent pas mourir, même d'une mort sans honte et sans douleur. ANTOINE : je le crois sans peine, mon cher neveu, car cette peur de la mort vient le plus souvent d'un manque de foi, d'un manque d'espérance, ou encore d'un manque d'esprit. Ceux qui ne croient pas à la vie dans l'au-delà ont peur de quitter celle-ci car alors, pensent-ils, ils perdront tout ; et voilà d'où viennent ces mots impies qui fleurissent sur tant de lèvres : « Ce monde-ci, nous le connaissons, de l'autre nous ne savons rien. » Et quelques-uns disent en plaisantant (mais le pensent sérieusement) : « Le diable n'est pas aussi noir qu'on veut bien le dire ! » ou « Si noir qu'il soit, il ne peut l'être plus qu'un corbeau » et ainsi de suite. Chez d'autres, la foi est assez forte, mais une vie dissolue leur fait perdre l'espoir du salut, et je m'étonne peu qu'ils répugnent à mourir. D'autres encore, qui ont l'intention de se corriger et souhaitent en avoir le temps, peuvent répugner à mourir incontinent. Il me semble à moi qu'un désir joyeux de mourir et d'être avec Dieu, lui serait agréable et mériterait la rémission des péchés et de la peine, tout autant que de longues années de pénitence. Il y a aussi des gens qui, sans souhaiter la mort, sont heureux de mourir et s'en réjouissent. VINCENT : Ceci est bien étrange, mon oncle. ANTOINE : Je crains, mon cher neveu, que ce ne soit pas très fréquent, mais cela arrive à de belles âmes comme le fut saint Paul. Malgré le désir qu'il éprouvait d'être avec Dieu, il était content de vivre ici dans la peine et de remettre à plus tard l'infinie félicité du ciel, car il pouvait, sur terre, se dévouer aux autres hommes. « J'ai le désir de mourir et d'être avec le Christ, mais il est bien préférable pour vous que je reste en vie » (1 Phil., 23). Mais il me semble, mon neveu, qu'aucun croyant ne devrait hésiter à mourir pour sa foi, à moins que la crainte de la honte et de la douleur violente ne mette un obstacle au désir de quitter ce monde, car le croyant sait que la mort pour la foi le lavera de tout péché et l'enverra droit au ciel. Les derniers dont j'ai parlé ne craignent pas tant la mort qu'ils ne l'acceptent, dans ces conditions, bien volontiers puisqu'ils savent que refuser la foi pour quelque raison que ce soit, les séparerait de Dieu, et on ne peut appeler charité le fait de déplaire à Dieu quand bien même ce serait pour venir en aide au monde entier, qui fut créé par lui. Il y en a qui répugnent à mourir, tout simplement par manque d'esprit. Ils croient au ciel et espèrent bien y aller, mais ils aiment tant les richesses et les agréments de ce bas monde qu'ils veulent les garder aussi longtemps que possible, et les défendent même avec bec et ongles. Quand il leur faut absolument s'en séparer, quand la mort vient les en arracher, ils comptent bien, faute de rester en vie, être hissés tout droit en paradis en la présence de Dieu ! Ces gens sont aussi fous que celui-là, qui gardait depuis son enfance, un sac de noyaux de cerises et s'en était tellement épris, qu'il ne voulait plus le lâcher, même pas pour un sac d'or. Ces gens se comportent comme l'escargot d'Esope. Un jour, Jupiter invita tous les pauvres vers à une grande fête. L'escargot resta chez lui et ne s'y rendit point. Quand Jupiter lui demanda par la suite pourquoi il n'avait pas assisté à la fête où il eut été accueilli, bien traité, en un beau palais, où il eût pu prendre part à mille divertissements, l'animal répondit qu'il ne se trouvait nulle part aussi bien qu'en sa maison. Cette réponse rendit Jupiter furieux. Puisque le limaçon aimait tant sa maison, dit-il, il la porterait toujours sur son dos où qu'il allât. Et, pour ma part, je n'ai jamais vu les escargots aller autrement. VINCENT : Vraiment, mon oncle, il me semble que cette fable contient une grande part de vérité. ANTOINE : Esope veut nous représenter par là, la folie de ces gens qui mettent leur plaisir dans des choses sans valeur et ne peuvent s'en passer, même pour avoir quelque chose de précieux. Par ce travers à la fois sot et peu aimable, ils peuvent pâtir durement ; et les chrétiens qui imitent l'escargot en s'attachant trop à leur maison sur terre, ne peuvent pas éprouver dans leur cœur le joyeux désir de se rendre à cette grande fête que Dieu prépare au paradis, et à laquelle, dans sa grande bonté, il nous convie tous. Ils risquent fort, je le crains, de s'entendre donner la même réponse que l'escargot et peut-être une bien pire, car ils peuvent comme le colimaçon de la fable être condamnés à rester attachés à leur demeure, la terre, mais contrairement à l'escargot ils ne pourront la traîner là où ils veulent, ils devront rester enclos, au centre de la terre, dans le brasier infernal. C'est par leur faute qu'ils seront entraînés à cette folie, tout comme l'ivrogne s'entraîne à l'ivrognerie, et le mal qu'il commet pendant son ivresse ne lui est pas pardonné sous prétexte qu'il n'est pas conscient, mais son ébriété même lui est imputée à faute. VINCENT : Mon oncle, ceci ne me paraît pas invraisemblable, et c'est bien par leur faute qu'ils tombent dans une telle folie. Mais si vraiment c'est une folie, alors bien des gens sont fous qui se croient sages. ANTOINE : Mais, cher neveu, je n'ai jamais rencontré un fou qui ne se crût sage. Car de même qu'un ivrogne qui se sent ivre n'est pas complètement ivre, de même un fou qui se croit fou, montre par là un éclair de sagesse. Cependant, mon cher neveu, assez parlé de cette sorte de fous qui répugnent à mourir tant ils sont attachés à leurs plaisirs terrestres, ceux qui pour cette raison préfèrent renier leur foi plutôt que de perdre leurs biens, même s'ils ne risquent pas, pour cela, la mort. VINCENT : Oui, mon oncle, et vous avez rappelé autant que je puisse m'en souvenir, tous ceux qui craignent une mort humiliante et douloureuse. Vous avez mis à part ceux qui n'ont pas la foi ; aucun réconfort ne peut les atteindre, il faut leur conseiller d'essayer d'avoir la foi, car c'est la base de tout réconfort comme vous l'avez montré au début de notre entretien, le jour de ma première visite ; les autres, ceux qui risquent de perdre leur foi par crainte de la mort, nous les avons tous passés en revue. Mais vous ne m'avez pas encore parlé de ces deux aspects de la mort que nous risquons de subir pour notre foi : la honte et la souffrance. Je vous en prie, donnez-moi des arguments de réconfort contre cela, car si la mort devait nous emporter simplement vers une vie meilleure, sans que nous ayons à souffrir, il me semble qu'aucun homme sensé ne s'attacherait à la vie d'ici-bas. ANTOINE : Ceux qui veulent examiner ce problème en se basant sur leur foi verront bien qu'ils ne se laisseront pas décontenancer par la honte et la souffrance au point de renier Dieu.
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DE LA MORT PÉNIBLE QU'IL FAUT SUBIR À CAUSE DE LA PERSÉCUTION DES TURCS VINCENT : Mon oncle, en ce qui concerne la honte, vous m'avez bien convaincu, et tout homme raisonnable sera satisfait, je le suppose, par vos arguments. Mais, en vérité, c'est de la souffrance corporelle que nous avons peur. Car je vois bien maintenant qu'il est très possible de se raisonner et de maîtriser la honte. Il est un proverbe très répandu dans presque tous les pays, qui dit que « la honte dépend de l'idée qu'on s'en fait ». Mais de par Dieu, mon oncle, toute la sagesse du monde ne peut changer la nature de la douleur physique, ni faire qu'elle ne soit plus pénible. ANTOINE : Il est vrai, mon neveu, que l'homme le plus sage ne peut changer la nature de la douleur de façon à ne pas la sentir, car à moins d'être ressentie, la douleur n'est plus de la douleur. Un homme ne sentira même pas qu'on lui arrache la jambe à hauteur du genou si une demi-heure avant, on lui a coupé la tête. Mais un homme raisonnable ne refusera pas la souffrance s'il doit pâtir de ce refus. Il serait déraisonnable de s'y jeter sans motif, mais quand il y voit des raisons valables, quand il doit y trouver un grand profit ou éviter de grandes pertes, l'homme peut supporter vaillamment cette épreuve. Et on y parvient même quand la raison n'a pas le puissant soutien de la foi. Avaler une potion amère est très désagréable, subir un coup de lancette est très douloureux ; quand ces choses doivent être administrées à un enfant ou à une personne puérile, ils préfèrent laisser s'aggraver le mal jusqu'à ce qu'il devienne incurable plutôt que de se soigner à temps, et ceci par faiblesse ou par manque de discernement. Mais un sage, sans désirer plus qu'un autre souffrir sans raison, voyant quel bien il peut retirer de la souffrance, quel mal il subira s'il la refuse, l'accepte volontiers. Si la raison suffit à elle seule à faire accepter la souffrance pour obtenir un bien humain, ou pour éviter une peine humaine (la peine acceptée étant parfois plus forte quoique plus brève que celle qu'on veut éviter) pourquoi la raison s'appuyant à une foi solide, et trouvant le secours de la grâce de Dieu ne serait-elle pas tout aussi capable de nous donner le même courage ? Pourquoi, aidée par de longues méditations, n'enracinerait-elle pas en nous la résolution de souffrir une mort pénible ici-bas pour gagner la vie éternelle au ciel et éviter la mort terrible de l'enfer ? Il ne faut pas oublier que la grâce de Dieu peut nous aider ; elle est indubitablement parmi les gens de bonne volonté qui se réunissent au nom du Seigneur : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux » (Mt., 18, 20). VINCENT : Mon oncle, si nous continuons à considérer la foi comme essentielle à tout réconfort, je ne puis trouver aucun argument pour réfuter ce que vous venez de dire. Pourtant, je me souviens d'une fable d'Esope. « Un grand cerf avait fui devant une petite chienne qui l'avait chassé si longtemps qu'à la fin elle avait perdu sa trace. Lui, espérait qu'elle avait renoncé. Il rencontra un autre cerf et lui fit part de son hésitation : devait-il continuer à fuir ou rebrousser chemin et combattre ? Le deuxième cerf conseille de ne plus fuir, de peur que la chienne ne le retrouve et qu'à ce moment, épuisé, il n'ait plus la force de lutter et se fasse tuer. Tandis que s'il se retourne vers elle maintenant, il ne court aucun danger. « Le chasseur est loin derrière elle, dit-il, et elle-même n'est qu'une petite bête, vous êtes deux fois comme elle, vous l'aurez déchirée de vos bois avant même qu'elle vous ait donné dix coups de dents. » « Par ma foi, dit le premier cerf, votre conseil me plaît, et il me semble que vous avez raison. Mais je crains que, quand j'entendrai cette maudite chienne aboyer, le cœur me manquera. Voulez-vous m'accompagner ? Il me semble qu'à nous deux nous résisterons mieux à cette lice. » L'autre accepta et les voilà partis. Mais la chienne retrouva bientôt la trace et arriva avec force aboiements, ce qu'entendant nos deux cerfs prirent la fuite... » Il me semble, mon oncle, que la même chose m'arriverait, à moi et à bien d'autres. Nous avons beau nous raisonner, prendre la résolution de faire comme vous dites et même croire fermement que nous agirons de telle ou de telle manière, dès que nous entendrons les Turcs, ces chiens de l'enfer, aboyer, hurler contre nous, le cœur nous manquera et nous fuirons. ANTOINE : À l'époque dont parle Esope, les cerfs et autres animaux avaient peut-être le langage et même un certain raisonnement, pourtant jamais ils n'eurent le pouvoir de se diriger par la raison. En toute bonne foi, mon cher neveu, il me semble que sans le secours de la grâce, le raisonnement des hommes n'irait guère plus loin. Mais si nous demandons la grâce, Dieu est toujours prêt à nous l'accorder ; il est prêt à nous la conserver, à la faire se développer en nous. C'est pourquoi, Notre-Seigneur nous demande par la bouche du prophète de ne pas nous conduire comme des bêtes : « Ne soyez pas comme le cheval ou le mulet, privés d'intelligence » (Ps., 32, 9). Cher neveu, ne doutons pas que si nous nous appliquons à rassembler notre courage, contre de telles persécutions, si nous prenons de bonnes résolutions, si nous nous les enfonçons bien dans le cœur, et ne les arrachons jamais, si nous ne les étouffons pas dans des vanités humaines, Dieu les fera fructifier en nous, et nous y puiserons la force nécessaire. De la sorte nous ne serons pas assez lâches pour renier Notre-Seigneur, perdre notre salut et nous précipiter dans l'enfer éternel, par crainte d'une mort qui, pour pénible et douloureuse qu'elle soit, n'en est pas moins momentanée. VINCENT : Tout le monde craint la souffrance et répugne à la subir, c'est naturel. ANTOINE : C'est vrai et personne ne vous oblige à courir à sa rencontre, Disons donc que la raison nous invite à souffrir une peine plus courte et moins atroce ici-bas que celle que nous souffririons en enfer. VINCENT : J'ai entendu récemment le raisonnement que vous venez de faire et il me parut sans réplique. Cependant quelqu'un y répondit de la sorte : un homme qui persisterait dans sa foi au milieu de cette persécution, qui aurait dû subir d'affreuses tortures, et qui, en raison de ces tortures, finirait à la longue par renier Dieu, mourrait avec son péché, et serait damné pour toujours ; tandis que s'il renonce à la foi, dès le début et seulement en paroles, il s'épargnera une mort cruelle, et plus tard il pourra demander pardon et l'obtenir par de bonnes œuvres, et être sauvé, comme le fut saint Pierre. ANTOINE : Ce raisonnement est comme une chaise à trois pieds, si branlante qu'il serait périlleux de s'asseoir dessus. Et ces trois pieds sont : une peur démesurée, une foi fausse, un espoir fallacieux. D'abord, c'est une peur démesurée que conçoit cet homme s'il croit qu'il est dangereux de confesser sa foi au début, de peur de tomber ensuite dans le reniement à cause de la violence redoublée des tortures qu'on lui ferait subir, comme si, se voyant renié par un homme écrasé par la souffrance, Dieu ne lui donnait pas la grâce de se repentir, comme s'il ne lui pardonnait pas tout comme à celui qui le renia dès le début et l'aima si peu qu'il préféra le renier plutôt que de souffrir, si peu que ce soit, pour lui ! Comme si, plus on souffre pour Dieu, moins on reçoit d'aide de sa part ! Cet argument est stupide, car Notre-Seigneur a dit : « Ne craignez pas ceux qui peuvent tuer le corps et ne peuvent rien faire de plus » (Lc., 12, 4-5 ; Mt., 10, 28). Il aurait dit : « Craignez ceux qui peuvent vous faire souffrir dans votre corps, car ils peuvent, par le tourment d'une mort pénible (à moins que vous ne me reniiez dès le début pour sauver votre vie et obtenir votre pardon, par la suite), vous amener à me renier trop tard et ainsi soyez damnés pour l'éternité. » Le second pied de cette chaise bancale est une foi fausse. Car ce n'est pas faire preuve de vraie foi que de dire à Dieu secrètement qu'on l'aime, qu'on a confiance en lui, alors qu'en public, au lieu de l'honorer, on flatte ses ennemis, et on leur fait le plaisir et l'honneur de renier publiquement la religion de Dieu. C'est ne pas avoir non plus de piété profonde. C'est à Dieu lui-même qu'on fait cette insulte car, à moins de manquer de foi, on ne peut ignorer que Notre-Seigneur est partout présent, et qu'il voit parfaitement qu'on est en train de le bafouer. Le troisième pied de la chaise est un espoir trompeur. Car renier Dieu et la foi, c'est chose que Dieu lui-même a condamnée de sa bouche, sous peine de damnation éternelle. Et, si Dieu, dans sa bonté, pardonne à bien des gens, il faut dire que pécher sans vergogne dans l'espoir d'être pardonné, c'est se bercer d'un espoir fallacieux et pernicieux, cela conduit à la damnation. Celui qui, victime d'une subite terreur, tombe malencontreusement dans l'erreur et ensuite, après avoir travaillé à se racheter, se réconforte dans l'espoir du pardon de Dieu, celui-là marche vers son salut. Je n'ai certes pas pouvoir d'écarter la main qui dispense le pardon et je ne voudrais pas le faire. Si je le pouvais, je prierais plutôt pour l'obtenir, mais il me semble que celui qui s'encourage à pécher en se disant que le pardon de Dieu suivra sa faute, je crains bien que celui-là ne manque ce pardon en le demandant de cette façon. Je ne puis me souvenir d'aucun passage de l'Écriture où il soit dit qu'en un tel cas, le pécheur soit pardonné et que Dieu par des promesses faites à d'autres pénitents soit tenu de pardonner à celui-là. Cette présomption, qui se déguise en espérance, semble se rattacher à l'abominable péché de blasphème contre le Saint-Esprit, tout comme le désespoir. Notre-Seigneur lui-même a parlé de ce péché et de l'impossibilité ou du moins de la grande difficulté de lui accorder le pardon dans le douzième chapitre de saint Matthieu, et le troisième chapitre de saint Marc, quand il dit que le blasphème contre le Saint-Esprit ne sera jamais pardonné, ni dans ce monde ni dans l'autre (Mt., 12, 32 ; Mc., 3, 29). L'homme dont vous parlez appuie son argumentation en citant l'exemple de saint Pierre, mais il devrait réfléchir à ceci : quand saint Pierre renia Notre-Seigneur, il ne le fit pas avec l'espoir d'être ensuite pardonné, ce qui eut été pécher contre l'espérance, non, il fut vaincu par la peur. Il ne gagna du reste pasgrand'chose à ce reniement, il ne fit que reculer légèrement ses ennuis comme vous le savez. Il regretta cruellement ce qu'il avait fait et pleura amèrement. Il sortit le jour de la Pentecôte et proclama le nom de son Maître ; peu après, il fut jeté en prison, à cause de cela, et comme il ne cessait d'affirmer sa foi, il fut fouetté, puis incarcéré de nouveau (Act., 2). Libéré, il reprit de plus belle, jusqu'à ce qu'enfin, après bien des vicissitudes, il fut crucifié à Rome et mourut dans de cruelles souffrances (Act., 5). Je pense pouvoir affirmer que celui qui renie Notre-Seigneur et qui ensuite obtient le pardon n'échappera pas au tourment ici-bas, mais qu'avant d'atteindre le ciel, il devra payer très cher son absolution. VINCENT : Il pourra peut-être l'obtenir par la pénitence, la prière, des œuvres charitables accomplies dans la foi et la charité. ANTOINE : Ce pardon, vous le faites précéder d'un peut-être. De toute manière, il n'échappera point à la mort, or c'est par crainte de la mort qu'il a renié sa foi. VINCENT : Mais il peut mourir de sa mort naturelle et échapper à une mort violente et de la sorte il s'épargne une grande souffrance, comme celle qu'entraîne toujours une mort violente. ANTOINE : Il se peut qu'il n'échappe même pas à une mort violente, car il a sans aucun doute mécontenté Dieu, et Dieu peut le faire mourir d'une autre mort tout aussi cruelle. Mais je vois bien que dans votre esprit, mourir de mort naturelle, c'est mourir agréablement. Vous me rappelez un homme qui voyageait avec nous dans un bateau. Quand la mer était mauvaise, il se couchait et était ballotté de-ci de-là, car c'était son premier voyage en mer. Le pauvre gémissait et désirait mourir : « Plût à Dieu que je fusse sur terre pour y mourir en paix ». Il était si incommodé par ces vagues qui le soulevaient, le secouaient de haut en bas, le roulaient de droite et de gauche, sans lui laisser aucun répit ; il pensait que ces intolérables malaises l'empêchaient de mourir. Ah ! débarquer et mourir en paix ! VINCENT : La mort est toujours pénible, mon oncle. Mais la mort naturelle l'est moins qu'une mort violente. ANTOINE : Ma foi, mon neveu, il me semble que la mort qu'on appelle naturelle est bel et bien « violente », car elle vient chercher sa victime de force, et contre son gré. Quand vient la mort, chacun voudrait vivre plus longtemps. Pourtant, mon cher neveu, je voudrais savoir qui vous a dit que, dans une mort naturelle, la douleur est si légère ! Pour autant que je sache, ceux qui meurent de mort naturelle sont emportés par l'une ou l'autre maladie ; si la douleur qui les cloue au lit pendant une ou deux semaines était concentrée en un seul instant, il me semble qu'elle serait plus atroce encore que celle d'un homme qui meurt de mort violente. Ainsi, celui qui meurt de mort naturelle souffre davantage, mais sa douleur est plus étalée ; bien des gens préfèrent souffrir plus violemment pour en être plus tôt quittes. Et bien des gens couchés pendant de longs mois souffrent autant que celui qui périt d'une mort brutale et est débarrassé de ses souffrances en moins d'une demi-heure. Pensez-vous que la douleur externe causée par un coup de couteau soit plus forte qu'une douleur interne, provenant, par exemple, d'un abcès ? Il y a des gens qui, sur leur lit de douleur, se plaignent de sentir des lames de couteau dans les fibres de leur cœur, d'autres crient et pensent avoir mille aiguilles dans la tête, et ceux qui souffrent d'une pleurésie pensent à chaque fois qu'ils toussent, sentir une épée s'enfoncer dans leur flanc. |
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PEINES ÉTERNELLES DE L'ENFER ET DOULEUR PASSAGÈRE DE LA MORT Mais à quoi bon cette comparaison entre la mort naturelle et la mort violente ? Cela ne nous aide pas à y voir plus clair dans notre sujet. Sans doute, celui qui renie la foi du Christ, tant il craint une mort violente, risque de trouver sa mort naturelle infiniment plus violente et plus épouvantable car cette mort dite naturelle est inextricablement mêlée à la douleur sans fin qui la suivra ; il n'y aura pas un instant entre l'une et l'autre, la fin de l'une sera le commencement de l'autre, qui ne finira jamais. Ce n'est pas sans raison que le Christ nous donna l'avertissement que saint Luc rapporte dans son chapitre douzième : « Je vous le dis à vous qui êtes mes amis, ne soyez pas effrayés par ceux qui tuent le corps et ne peuvent pas faire plus, mais je vais vous dire qui vous devez craindre : craignez celui qui après avoir tué a le pouvoir de jeter dans le feu éternel. Aussi je vous le dis, celui-là, craignez-le » (Lc., 12, 4-5). Jésus ne veut pas dire ici que nous ne devons avoir aucune peur des hommes qui ne peuvent que tuer notre corps, mais il veut nous faire comprendre que nous ne devons pas craindre un homme à tel point que nous en arrivions à déplaire à celui qui peut tuer notre corps et aussi notre âme et nous plonger dans la mort éternelle. C'est pour cela qu'il répète à la fin de son propos : « Je vous le dis, c'est lui que vous devez craindre ». Oh ! mon Dieu, mon neveu, je ne doute pas que si nous voulions peser ces paroles, nous en bien pénétrer, les méditer souvent, nous mépriserions les menaces des Turcs, et nous ne nous en soucierions guère. Nous préférerions endurer toutes les peines que le monde pourrait nous faire supporter pendant le court temps que nous passons sur terre plutôt que, par crainte de ces peines (qui ne sont ni si atroces, ni surtout éternelles), nous jeter dans les tourments de l'enfer mille fois plus intolérables et qui ne finiront jamais. C'est une mort terrible que celle qui dure éternellement, car l'Écriture dit : « Ils appelleront la mort et la mort les fuira » (Ap., 9, 6). Ô Seigneur, si l'un de ceux-là pouvait maintenant choisir entre l'une et l'autre mort, il souffrirait plutôt pendant toute une année le trépas le plus horrible que tous les Turcs de Turquie pourraient imaginer, plutôt que d'endurer pendant une minute la mort qu'ils subissent à présent. Ceux qui tombent dans cette folie sont des gens sans foi, ou des gens dont la foi est faible. Pour s'épargner une douleur qui ne peut être aussi violente, ni d'aussi longue durée, ils se vont jeter dans des tourments horribles qu'ils savent ne devoir jamais finir. On ne pense pas assez à cela, mon neveu, on n'y attache pas assez d'importance. Il me semble, sur ma foi, que si nous avions la grâce d'y croire, d'y penser souvent, la crainte de la persécution des Turcs avec tout ce que le démon de midi serait capable d'inventer pour que nous renoncions à notre foi ne serait pas capable de nous faire changer d'avis. VINCENT : Par ma foi, mon oncle, je crois que vous avez raison. Si nous pensions souvent aux peines de l'enfer (mais nous répugnons tant à le faire, préférant nous réfugier dans des passe-temps puérils pour écarter ces sombres pensées) cela suffirait, semble-t-il, à faire de plusieurs d'entre nous des martyrs. |
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LES ENCOURAGEMENTS QU'APPORTE LA MÉDITATION SUR LES JOIES DU CIEL ANTOINE : En vérité, mon neveu, si nous étions tels que nous devrions être, je serais honteux d'évoquer les tourments de l'enfer pour vous exhorter à garder la foi du Christ. Je vous rappellerais plutôt les joies du ciel. Il est plus plaisant d'essayer de les gagner que de s'efforcer d'échapper aux peines de l'enfer. Si nous pouvions imaginer les joies merveilleuses du ciel aussi clairement que nous concevons les peines de l'enfer... (quoiqu'à vrai dire nous ne concevions clairement ni les unes ni les autres), disons que si nous pouvions nous faire une idée des unes aussi bien que des autres, nous ne manquerions pas d'être incités à souffrir pour le Christ en ce monde bien plus pour obtenir les joies célestes que pour échapper aux peines infernales. Les plaisirs charnels sont moins plaisants que les douleurs charnelles ne sont pénibles ; aussi nous, faits de chair, sommes-nous noyés dans ces plaisirs des sens et dans le désir que nous en avons, à tel point que nous ne pouvons imaginer aucune joie spirituelle ; nous ne devons pas nous étonner si nos penchants charnels sont plus refrénés par la crainte de l'enfer que nos affections spirituelles ne sont aiguillonnées par le joyeux désir du ciel. Si nous nous attachions moins aux vilains appétits voluptueux et si, les écartant par des prières et par la grâce de Dieu, nous nous approchions des joies intérieures et spirituelles, nous aurions un avant-goût des délices célestes, et de l'incomparable et indicible félicité que nous goûterons si nous accédons au paradis. Car il est écrit : « Je serai rassasié quand ta gloire, ô Seigneur, apparaîtra » (Ps., 16, 11), c'est-à-dire quand il me sera donné de contempler Dieu face à face, dans toute sa glorieuse majesté. Et le désir, l'espoir que nous en aurons nous encouragera davantage et nous fortifiera dans l'acceptation de la souffrance pour l'amour de Dieu et pour le salut de notre âme plus que nous ne pourrions supporter de souffrance si nous nous bornions à méditer sur les tourments de l'enfer. Puisque nous ne jouissons pas du privilège de connaître cet avant-goût, faveur que Dieu n'accorde qu'à certains de ses serviteurs, travaillons par la prière à concevoir dans nos cœurs un si ardent désir de ces joies célestes que nous dédaignerons tout plaisir charnel, toute joie humaine et que nous mépriserons aussi toute torture corporelle. Car c'est bien en retour des exercices spirituels que Dieu récompense au ciel ces âmes qu'il affectionne et que sur la terre il leur donne en acompte un peu de réconfort. Écoutons ce que le Seigneur dit dans la sainte Écriture des merveilleuses jouissances du ciel : « Les justes brilleront comme le soleil et seront environnés d'étoiles » (Dan., 12, 3). Maintenant parlez de ce genre de satisfaction à un homme qui a l'esprit porté vers la chair, il le goûtera peu, il vous dira qu'il se soucie peu de briller comme une étoile au firmament. Dites-lui que son corps sera glorieux, impassible et incorruptible et qu'il ne pourra plus souffrir, il pensera qu'il n'aura plus ni faim ni soif et qu'il lui manquera aussi le plaisir de manger et de boire, qu'il n'éprouvera plus l'envie de dormir et que par conséquent il lui manquera aussi le plaisir auquel il était accoutumé quand il était au lit. Dites-lui qu'hommes et femmes vivront là-haut comme des anges, sans aucune pensée pour l'acte de chair, et il pensera qu'il n'y pourra plus se livrer à ses passions dégoûtantes et voluptueuses. Il vous dira qu'il est aussi bien ici et qu'il ne voudrait pas donner ce monde-ci pour l'autre. Car, comme le dit saint Paul : « L'homme charnel ne sent pas les choses qui viennent de l'Esprit de Dieu, et pour lui c'est folie » (1 Cor., 2, 14). Mais le temps viendra où ces immondes plaisirs lui seront arrachés et il sera dégoûté d'y avoir jamais songé. Ainsi, lorsque nous sommes malades, nous ne pouvons même pas voir la nourriture et nous ne pouvons penser sans dégoût au plaisir de la chair. Quand, après cette vie, cet homme sentira en son cœur ce dégoût des plaisirs voluptueux qu'il ne voulait pas, ici-bas, changer pour les joies du ciel, quand il aura en horreur tous ces plaisirs charnels, et pourra se faire une idée (quoique très vague) des célestes délices auxquelles sur terre il attachait si peu de prix, ô mon Dieu, comme volontiers il donnerait le monde entier, s'il le possédait, pour avoir part à ces joies, ne fût-ce que d'une manière infime ! Nous qui ne pouvons nous faire une idée de ces satisfactions paradisiaques, nous devons lire, écouter, répéter dans nos prières, méditer ces mots joyeux de l'Écriture, qui nous en apprennent les merveilles. Nos cœurs de chair ne s'émeuvent guère pour elles et nos esprits sont incapables de nous en présenter même une ombre. Je dis bien une ombre car se figurer la chose elle-même est impossible à toute imagination charnelle et même peut-être à toute personne très sainte et très portée aux exercices spirituels. Toute joie céleste consiste essentiellement en la contemplation de Dieu face à face et personne ne peut espérer y atteindre en cette vie. Car, Dieu l'a dit lui-même : « Aucun homme ne peut me voir et rester en vie » (Ex., 33, 20). Ainsi, nous sommes assurés d'être privés de la félicité céleste pendant toute la durée de cette vie, et aussi nous savons que l'homme le plus saint, je parle d'un homme qui n'est rien de plus qu'un homme, ne peut s'imaginer ce que c'est ; les plus vertueux sont aussi incapables de s'en faire une idée qu'un aveugle de naissance est incapable de concevoir les couleurs. Les paroles que saint Paul rapporte d'Isaïe prophétisant l'Incarnation du Christ, peuvent s'appliquer aux joies du ciel : « L'œil n'a pas vu, l'oreille n'a pas entendu, et dans le cœur de l'homme n'est pas monté tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment » (1 Cor., 2, 9 ; Is., 64, 3). Car sur terre les joies du ciel sont inaccessibles à notre langage, à notre ouïe, à nos cœurs, elles dépassent toutes celles dont nous avons entendu parler, tout ce que nous pouvons imaginer. Et pourtant, quels que soient les ravissements préparés au ciel pour toute âme sauvée, Notre-Seigneur dit par la bouche de saint Jean, qu'aux saints martyrs qui souffrent pour lui, il réserve des joies encore plus exquises. Car il dit : « À celui qui vaincra, je donnerai à manger de l'arbre de la vie, et il sera vêtu de blanc, et je confesserai son nom devant mon Père et devant les anges » (Ap., 2, 7 et 3, 5). Il dit aussi : « Ne craignez point ces choses qui vous font souffrir... mais soyez fidèles jusqu'à la mort et je vous donnerai la couronne de vie. Celui qui vaincra ne sera pas frappé par une seconde mort » (Ap., 2, 10). Et il dit aussi : « À celui qui vaincra, je donnerai la manne secrète et cachée ; je lui ferai don d'un caillou blanc, et sur ce caillou un nouveau nom sera écrit que personne ne connaîtra hormis celui qui le reçoit » (Ap., 2, 17). Dans l'ancienne Grèce, où saint Jean écrivit, on accédait aux fonctions honorables par des élections ; l'assentiment de chacun était appelé suffrage ; à certains endroits cela se faisait oralement, à d'autres, à main levée. En latin, cette sorte de suffrage était appelée calculi, parce qu'on votait avec des cailloux ronds. Notre-Seigneur dit donc qu'à celui qui aura vaincu, il donnera un caillou blanc, car les blancs signifiaient l'approbation. Il dit aussi : « Celui qui vaincra, je ferai de lui une colonne dans le temple de mon Dieu et il n'en sortira plus et j'écrirai sur lui le nom de mon Dieu, et le nom de la cité de mon Dieu, la nouvelle Jérusalem, qui descend du ciel, de chez mon Dieu, et j'écrirai sur lui mon nouveau nom » (Ap., 3, 12). Si nous voulions nous étendre sur ce thème, si nous pouvions comprendre ces dons spéciaux qui sont décrits dans les deuxième et troisième chapitres de l'Apocalypse, alors il apparaîtrait combien ces célestes extases dépasseront toutes les imaginations d'ici-bas. Le bienheureux apôtre saint Paul, qui souffrit tant de périls et tant de haines, dit de lui-même : « J'ai travaillé et je fus emprisonné plus que les autres, j'ai reçu le fouet un nombre incalculable de fois, je fus souvent à la mort, j'ai cinq fois reçu des juifs les trente-neuf coups de fouet, je fus trois fois battu de verges, une fois lapidé, trois fois j'ai fait naufrage et j'ai passé un jour et une nuit dans l'abîme de la mer ; dans mes voyages je fus souvent exposé aux risques des rivières, aux dangers des voleurs, aux dangers des Juifs et à ceux des païens, aux périls des villes, du désert, de la mer, aux dangers des faux frères ; je connus le travail et la misère, les nuits sans sommeil, la faim, la soif, et les jeûnes répétés, le froid et la nudité ; et en plus de toutes ces souffrances qui ne sont qu'extérieures, j'avais mon travail quotidien, je veux parler de ma sollicitude pour les églises » (2 Cor., 11, 23-28). Il en dit encore plus sur ses épreuves mais j'en passe. Ce bienheureux apôtre, dis-je, malgré toutes les misères dont il eut à souffrir pendant tant d'années, déclare que les épreuves que nous subissons dans ce monde sont légères et brèves comme l'instant en regard de la gloire qu'elles nous gagnent dans l'autre monde : « Ces épreuves momentanées que nous subissons préparent en nous la grande gloire, la gloire sans limite ; ne nous attachons pas à ce que nous voyons mais à l'invisible et à l'éternel »(2 Cor., 4, 17-18). Disons-nous bien que nous ne pouvons aspirer à cette glorieuse couronne si nous n'avons pas de tête pour la recevoir. Notre tête, c'est le Christ (1 Col., 18). C'est à lui que nous devons être unis et, comme ses membres, nous devons le suivre, si nous voulons parvenir au ciel. C'est lui qui nous y guide. Il y est entré avant nous et ceux qui veulent y pénétrer après lui doivent suivre le même chemin que lui. Et quel chemin suivit-il pour aller au ciel ? Il l'a montré lui-même quand il dit aux disciples d'Emmaüs : « Ne saviez-vous pas que le Christ devait souffrir la Passion et par ce chemin entrer dans le royaume ? » (Lc., 24, 26). Qui pourrait sans honte désirer entrer à l'aise dans le royaume du Christ alors que lui-même n'y est pas entré sans peine ? |
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MÉDITATION SUR LA MORT DU CHRIST Mon cher neveu, je vous l'ai déjà dit, l'exemple de Notre-Seigneur devrait suffire à nous faire supporter non seulement la perte de nos biens matériels, la détention, l'emprisonnement : il devrait nous faire supporter joyeusement les opprobres des hommes, mais de plus il devrait encourager tout chrétien, homme ou femme, à ne refuser pour lui aucune douleur. C'est vrai aussi en ce qui concerne une mort pénible. Si nous concevions dans nos esprits l'image de la Passion terrible de Jésus-Christ, des coups sanglants que lui portèrent ses bourreaux avec des verges, avec des fouets, de toutes parts sur son tendre corps ! Pensons à cette couronne d'épines posée en dérision sur sa tête auguste et de façon si cruelle qu'elle fit jaillir le sang sur son visage, à ses beaux membres écartelés sur la croix, à la douleur intolérable des veines et des nerfs qui se renouvelait à chaque effort, aux longs clous enfoncés à coups de marteau à travers ses mains et ses pieds, à son corps pesant sur les blessures ouvertes par les clous ! Il fut ainsi tourmenté sans pitié, entouré de haine pendant trois longues heures, jusqu'à ce qu'il remît son âme entre les mains de son Père. Alors, pour montrer l'étendue de leur méchanceté, quand son âme fut sortie de son corps, ils lui percèrent le cœur d'une lance, et, de la blessure coula le saint sang avec de l'eau, d'où il résulte que ses saints sacrements ont force inestimable et secrète. Si nous pouvions nous souvenir de ces choses comme Dieu le désire, la considération de son incomparable douceur ne manquerait pas d'enflammer nos cœurs glacés, elle les embraserait d'amour, et nous serions non seulement dociles mais aussi tout animés d'un joyeux désir de subir la mort par amour pour celui qui montra pour nous tant d'amour. Plût à Dieu que, dans la honte de notre froideur, en réponse à l'ardent amour, à l'inépuisable bonté de Dieu envers nous, plût à Dieu, dis-je... Mais voyez quelle passion les amants charnels portent chaque jour aux créatures qu'ils adorent ! Combien n'ont pas hésité à risquer leur vie, combien l'ont perdue sans qu'on leur en ait témoigné beaucoup de gratitude ; du reste ils ne devaient guère en attendre. Mais cela satisfaisait leur esprit de penser que par leur mort ils prouveraient la fidélité de leur amour. Le plaisir qu'ils en retiraient ne faisait pas que diminuer leur peine, il la supprimait totalement. Nous voyons de telles passions aux effets aussi étonnamment douloureux éclater non seulement dans les récits, mais aussi nous savons qu'il en existe, en réalité, en pays païen comme en pays chrétien. Alors n'est-il pas honteux pour nous de renier Notre-Seigneur par peur de la mort temporelle alors que lui souffrit si cruellement pour nous ? Pensez qu'il récompensera notre souffrance par l'éternelle félicité. Oh ! si celui qui meurt pour sa bien-aimée sans en attendre aucune récompense, et qui, par sa mort, se sépare d'elle à jamais, s'il pouvait être sûr de revenir près d'elle et d'y demeurer dans un bonheur éternel, hésiterait-il, celui-là, à mourir deux fois ? Que nos sentiments envers Dieu sont froids si, plutôt que de mourir pour lui, nous le renions, lui qui mourut pour nous, lui qui nous a promis que si nous acceptions de mourir pour lui nous régnerions éternellement avec lui. Car, dit saint Paul : « Si nous souffrons avec lui, nous règnerons avec lui » (2 Tim., 2, 12). Combien de Romains, combien de nobles cœurs de divers pays ont volontiers donné leur vie et souffert diverses peines mortelles pour leur patrie afin de gagner par leur mort la seule récompense de la gloire ! Allons-nous refuser de souffrir autant pour un éternel honneur, pour la gloire éternelle en paradis ? Le démon a, lui aussi, quelques hérétiques si obstinés qu'ils endurent volontairement une mort pénible pour une vaine gloire. N'est-il pas dès lors plus que honteux que le Christ voie ses catholiques renier sa foi plutôt que de se montrer capables eux aussi de souffrir, eux, pour le ciel et pour la vraie gloire ? Plût à Dieu comme je l'ai déjà dit souvent, que le souvenir de la bonté du Christ, qui souffrit sa Passion pour nous, que la pensée de l'enfer, où nous serons précipités si nous le renions, que la joyeuse pensée de la vie éternelle que nous obtiendrons si nous acceptons cette mort temporelle avec patience, pour l'amour de lui, plût à Dieu que ces sentiments fussent enracinés dans nos cœurs aussi profondément qu'ils le devraient, et comme ils le seront si nous luttons à cette fin, si nous nous y appliquons, si nous prions. Alors nos pensées prendront une autre direction, et comme il arrive qu'un homme, blessé dans un combat, ne sente pas sa blessure et n'en soit pas conscient, (parfois même c'est quelqu'un d'autre qui le prévient) ainsi, l'esprit ravi par ces pensées (la mort du Christ, le ciel, l'enfer) nous ne sentirions presque plus notre souffrance. Car je puis assurer ceci : si nous avions pour le Christ la centième partie de l'amour qu'il a eu et qu'il a toujours pour nous, toutes les persécutions des Turcs ne nous éloigneraient pas de lui, mais il y aurait ici, en Hongrie, autant de martyrs qu'il y en eut dans d'autres pays. Supposez que l'armée des Turcs soit en face de nous, tous prêts à nous faire subir mille tourments si nous refusons de renier notre foi, supposez que pour accroître encore notre terreur, ils se mettent tous ensemble à nous assourdir dans un affreux tintamarre de trompettes et de tambours, qu'ils lâchent leurs canons tous ensemble, supposez par ailleurs, qu'à ce moment la terre s'entr'ouvre, que les démons en sortent, et se montrent dans leur forme hideuse comme les damnés les verront, supposez que ces chiens d'enfer se mettent à pousser d'affreux hurlements, qu'ils laissent l'enfer béant sous nos pieds, si bien que, regardant vers le bas, nous verrions le gouffre pestilentiel et l'essaim des pauvres âmes y subir leur tourment, cela ne nous causerait-il pas tant d'effroi que nous en oublierions les Turcs ? Mais poursuivons. Si, à ce moment, il nous était donné de voir Dieu, dans toute sa majesté, Notre-Seigneur dans sa glorieuse humanité, sa Mère immaculée et toute l'assemblée céleste, nous invitant à nous joindre à eux, même si notre chemin passait par une mort épouvantable, j'ose affirmer que personne alors n'hésiterait, chacun courrait vers eux, même s'il fallait traverser à la fois l'armée turque et les cohortes infernales. Réfléchissons bien à tout cela, mon cher neveu, et ayons confiance en l'aide de Dieu. Je ne doute pas qu'alors la parole du prophète se vérifiera et que « la vérité de sa promesse nous enveloppera comme un bouclier, et nous préservera des atteintes du démon de midi », c'est-à-dire de cette persécution des Turcs et que nous n'aurons plus rien à craindre. Car si nous avons confiance en Dieu, les Turcs ne se mêleront pas à nous, ou alors, s'ils le font, ils ne nous apporteront pas un mal mais plutôt un bien inestimable. Pourquoi désespérer maintenant de la gracieuse aide de Dieu ? Sommes-nous assez fous pour croire que son pouvoir ou sa miséricorde sont usés ? Nous voyons bien que des milliers de martyrs, grâce à son secours, ont souffert autant qu'aucun homme peut souffrir de nos jours. Pouvons-nous prendre pour excuse la faiblesse de notre chair ? Nous ne sommes pas plus fragiles qu'eux ; il y avait même parmi eux des femmes et des enfants. Leur force résidait dans la grâce de Dieu. Le plus fort d'entre eux n'eût pas été capable, par lui-même, de tenir tête au monde, mais grâce à l'aide de Dieu, le plus faible a résisté. Pensons-y et préparons-nous longtemps à l'avance. Conformons notre volonté à la sienne, sans toutefois désirer la persécution (car désirer le martyre, c'est faire preuve d'orgueil). Demandons à Dieu secours et force, s'il permet que nous en arrivions à en avoir besoin. Jeûnons, prions, faisons la charité quand il en est temps encore, donnons à Dieu ce qui peut nous être arraché. Si le démon nous met en tête de sauver nos biens, rappelons-nous que nous ne pourrons pas les garder longtemps. S'il nous effraie en nous représentant les affres de la fuite et de l'exil, rappelons-nous que si nous sommes nés dans le vaste monde, ce n'est pas pour rester toujours plantés au même endroit comme les arbres, et que Dieu nous accompagnera toujours. S'il tente de nous effrayer en nous représentant la captivité, répondons-lui que mieux vaut être captifs des hommes pendant un temps limité et pour la joie de Dieu plutôt que d'être éternellement captifs en enfer, parce que nous aurions déplu à Dieu. Si c'est par l'emprisonnement qu'il nous effraie, disons-lui que nous préférons être prisonniers d'un homme, ici sur terre, plutôt que, reniant la foi, d'être ses prisonniers à lui, Satan, pour l'éternité. S'il nous montre la cruauté des Turcs, comprenons bien que c'est un piège, car il veut se faire oublier. Rappelons-nous que comparés à lui, les Turcs ne sont que des fantoches, le mal qu'ils peuvent faire, simples piqûres de moustiques, en comparaison de sa malice à lui. Les Turcs ne sont que les instruments qu'il prend pour nous tourmenter, car c'est lui le vrai bourreau. Le Seigneur dit dans l'Apocalypse : « Le démon enverra quelques-uns d'entre vous en prison pour vous tenter » (Ap., 2, 10). Il ne dit pas « les hommes », il dit « le démon ». C'est sans aucun doute l'action du démon de nous amener par la tentation, par la peur, dans l'éternelle damnation. C'est pourquoi saint Paul dit : « Ce n'est pas contre la chair et le sang que nous devons lutter » (Eph., 6, 12). Nous voyons par là que dans des persécutions comme celle-ci, c'est le démon de midi lui-même qui fait pression sur nous, par l'intermédiaire des hommes qui sont ses ministres, et, à moins que nous ne tombions, il ne peut nous toucher. C'est pour cela que saint Jacques dit : « Résistez au diable et il fuira » (Jac., 4, 7). Il ne se précipite sur un homme que quand il le voit à terre, quand cet homme est volontairement tombé. Sa manière est d'envoyer contre nous ses serviteurs, et c'est eux qui nous font tomber, en nous faisant peur, en nous faisant perdre patience. Pendant ce temps, il rôde autour de nous, comme un lion cherchant qui il pourra dévorer (1 Pier., 5, 8). C'est le démon qui nous sautera dessus et nous dévorera si nous tombons par crainte des hommes. Dès lors est-ce sagesse d'accorder tant d'importance aux Turcs et aucune à Satan ? Ne serait-il pas dément celui qui, voyant un lion sur le point de l'attaquer, perdrait son temps à s'occuper de la morsure possible d'un petit chien ? Quand le démon rugit en lançant contre nous des hommes, disons-lui, en nous-mêmes, que nous voyons clair dans son jeu et que nous avons l'intention de le combattre, corps à corps s'il le faut. S'il nous fait craindre notre faiblesse, disons-lui que notre capitaine le Christ, est avec nous, et que c'est avec sa force à lui que nous combattrons, car lui a déjà vaincu le démon. Défendons-nous avec la foi, réconfortons-nous avec l'espérance et frappons le démon à la face avec le brandon de la charité. Si nous sommes tendres et aimants comme le fut notre Maître, si nous ne haïssons pas ceux qui nous tuent, si nous les prenons en pitié, et prions pour eux parce qu'ils se font tort à eux-mêmes, alors, ce feu de la charité jeté à la face du démon l'aveuglera et il ne verra plus comment il pourrait s'emparer de nous pour nous dévorer. Quand nous nous sentons trop sûrs de nous, rappelons-nous notre faiblesse ; quand nous nous sentons trop faibles, rappelons-nous la force du Christ. Dans notre angoisse, rappelons-nous la douloureuse agonie qu'il voulut souffrir, pour notre bien, pour que jamais aucune crainte ne nous fasse désespérer. Ne cessons jamais de lui demander de nous venir en aide de quelque manière qu'il lui plaira. Ne doutons pas qu'il nous gardera de la mort pénible, ou alors, qu'il nous fortifiera de telle façon que ce lui sera un moyen de nous amener joyeusement au ciel, et qu'il fait plus pour nous qu'en écartant de nous cette dure épreuve. Car Dieu fit plus pour le pauvre Lazare en l'aidant à supporter patiemment sa faim, à la porte du riche, que s'il lui avait apporté le repas du riche. Ainsi, tout en étant bienveillant envers celui de qui il écarte la souffrance, il fait pourtant bien plus si, par une mort pénible, il délivre son serviteur d'un monde misérable et l'élève dans l'éternelle félicité. Celui qui recule devant cette mort en reniant sa foi peut être certain de s'en repentir avant longtemps. La prochaine fois qu'il tombera malade, il souhaitera avoir été tué pour le Christ. Quelle folie de fuir le Christ par crainte de cette mort dont, peu après, vous regretterez d'avoir manqué l'occasion ! Oui, j'ose affirmer que le vrai chrétien est celui qui aspire si fort au paradis qu'il souhaiterait d'avoir été tué la veille pour le Christ, même s'il était sûr qu'il n'y a pas d'enfer. L'obstacle, pour nous, c'est la peur que nous avons de la souffrance qui approche. Mais si nous nous rappelions toutes les peines de l'enfer dans lesquelles nous serons précipités si nous tombons en fuyant cette souffrance, alors celle-ci nous semblerait bien brève, bien légère et ne serait plus un obstacle. Pourtant, si nous étions fidèles, nous serions aiguillonnés par la considération des joies du ciel, dont l'Apôtre dit : « Les souffrances présentes ne sont pas comparables à la gloire qui doit venir, qui doit se révéler à nous » (Rom., 8, 18). Je pense que le texte de saint Paul suffit, si nous le méditons bien, à nous éclairer en cette matière. Car, mon cher neveu, rappelez-vous que s'il nous était possible, à vous et à moi, de souffrir toute la souffrance du monde réunie, tout cela ne suffirait pas encore à nous mériter cette félicité céleste et surnaturelle dont nous espérons bien jouir éternellement. Aussi, je vous en prie, pensez à cette joie, et que cette pensée efface toute peine de votre cœur, et priez afin qu'il en aille de même pour moi. Et sur ces mots, mon cher neveu, je terminerai un peu abruptement mon propos et prendrai congé de vous, car je me sens fatigué. VINCENT : Belle péroraison, mon cher oncle. Je ne m'étonne pas que vous vous sentiez fatigué, car je vous ai fait travailler beaucoup. J'en aurais même regret, si je ne savais que vous avez pu vous réconforter vous-même à la pensée d'avoir si utilement passé votre temps, et si je n'avais moi-même trouvé grand et durable réconfort dans vos paroles. Le Seigneur vous en récompensera, et beaucoup de gens prieront pour vous. Afin de répandre plus largement vos excellents conseils, j'ai l'intention, mon cher oncle, de les transcrire non seulement dans notre langue, mais aussi dans la langue allemande. Et ainsi, priant Dieu de me donner, à moi et à ceux qui les liront, la grâce de suivre vos recommandations, je vous confie à Dieu. ANTOINE : Puisque vous avez l'intention, mon cher neveu, de consacrer tant d'efforts à ceci, je voudrais que vous eussiez sollicité les conseils d'un homme plus sage. Il est vrai que des hommes meilleurs que moi peuvent ajouter à mes propos bien des exhortations meilleures que les miennes. En attendant, je supplie le Seigneur d'envoyer son Esprit-Saint dans l'âme du lecteur, c'est lui qui doit nous instruire et, sans lui, tout ce que les hommes peuvent apprendre est sans valeur. Ainsi, cher neveu, adieu ! Que le Seigneur nous réunisse à nouveau, dans ce monde ou dans l'autre ! Amen. |
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