Le Saint Abandon
 
de Dom Lehodey
Un extrait

 

Oublions donc les hommes et tous les torts qu'ils nous semblent avoir, rejetons bien loin de notre coeur l'amertume et le ressentiment. Les yeux constamment fixés sur l'éternel persécuté, sur Jésus notre modèle et le bien-aimé de nos âmes, adorons comme lui toutes les volontés de son Père qui est aussi le nôtre; embrassons avec amour et les épreuves qu'il nous envoie et leurs effets déjà consommés et irréparables, essayant, pour en tirer le meilleur parti possible, d'entrer dans les dispositions de notre doux Jésus, et d'agir en tout comme il ferait à notre place. Celà ne nous empêche pas, quant à l'avenir, de faire ce qui dépênd de nous pour écarter le danger, pour en conjurer les conséquences, s'il plaît à Dieu, toutes les fois que la gloire divine, le bien des âmes ou d'autres justes raisons l'exigent ou le permettent.

Le bienheureux henri Suso marcha longtemps par cette voie douloureuse, et voici les enseignements qu'il reçut du ciel. Une voix intérieure lui dit : "Ouvre la fenêtre de ta cellule, regarde et apprends".Il ouvrit et regarda. Il vit un chien qui courait au milieu du cloître, portant dans sa gueule un morceau de tapis; l'animal jouait avec ce tapis, le jetait en l'air, le traînait par terre, le déchirait et y faisait des trous. Une voix intérieure dit au bienheureux : "Tu seras ainsi jeté par la bouche de tes frères et déchiré." Il pensa en lui-même : " Puisqu'il ne peut pas en être autrement, résigne-toi, vois comme ce tapis se laisse maltraiter en solence, fais de même." Il descendit, prit le tapis et le garda pendant de longues années comme son cher trésor; lorsqu'il avait une tentation d'impatience, il le prenait, afin de se reconnaître en lui, et de se taire courageusement.