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VINGT-CINQUIÈME DEGRÉ De l' Humilité, qui donne la mort à toutes les passions. |
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1. Quiconque
prétendrait expliquer les sentiments que donne la charité, et les effets
qu 'elle produit, selon toute l' intensité de l'ardeur qui lui
est propre : ceux de l'humilité, d'après ses abaissements profonds;
ceux de la chasteté, d'après son excellence céleste; ceux de l'illumination
divine, d'après tout l'éclat de ses rayons et de sa lumière; ceux de
la crainte de Dieu, d'après les mouvements qu'elle donne; ceux d'une
ferme confiance en Dieu, selon la tendresse et l'immobilité de ses regards,
et faire comprendre par des paroles claires et précises, à ceux qui
n'ont jamais eu ni le sentiment ni le goût des douceurs inexprimables
de ces dons et de ces vertus, en quoi les uns et les autres consistent
: celui-là ressemblerait incontestablement à un homme qui, par ses paroles,
ou par le moyen des comparaisons, voudrait faire concevoir la douceur
du miel à ceux qui n'en ont jamais mangé. Or n'est-il pas évident que
l'un et l'autre de ces deux hommes perdraient leur peine et leur travail,
et parleraient en vain ? Nous ne disons rien autre chose du dernier;
mais nous ajoutons pour le premier que, ou il ignore ce qu'il doit dire,
et c'est un insensé, ou, s'il sait sur quoi il doit parler, c'est un
téméraire et un orgueilleux, Je termine ce degré en disant que, comme c'est la mer qui est la cause et la nourrice de toutes les fontaines, de même l'humilité est la source de la discrétion.
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1. Le discernement dans les personnes qui commencent à servir Dieu, est une connaissance exacte qu'elles ont de l'état de leur âme; par rapport à celles qui ont déjà fait quelques progrès dans le service du Seigneur, c'est un sentiment intérieur qui leur fait distinguer avec certitude le bien proprement dit de celui qui est seulement naturel et qui souvent fait la guerre au bien surnaturel; et dans celles qui ont heureusement atteint la perfection, c'est une connaissance qu'elles ont reçue des lumières que Dieu a répandues abondamment dans leur âme, par laquelle, non seulement elles sondent les plis et les replis de leur coeur, mais peuvent pénétrer jusque dans l'intérieur de leurs frères. Mais si nous voulons définir le discernement d'une manière générale et qui puisse tout renfermer et convenir à tout, nous dirons et qu 'elle est et qu 'elle doit être une lumière intérieure qui nous fait connaître avec certitude, en tout temps, en tout lieu et dans toutes nos actions, qu 'elle est la sainte et adorable volonté de Dieu, et que ceux-là seuls la reçoivent qui sont purs dans leurs affections, dans leurs actions et dans leurs paroles. 2. Celui qui par l'esprit de Dieu a vaincu trois ennemis de son salut, vient bien facilement à bout de terrasser les cinq autres; mais celui qui néglige d'attaquer et de vaincre ces trois ennemis, ne peut compter sur aucune autre victoire. Le discernement est donc une conscience sans tâche, elle n'habite que dans ceux dont les sens sont purs et chastes. 3. Personne, soit qu'il voie par lui-même, soit qu'il entende raconter aux autres que dans l'état religieux il arrive des choses extraordinaires et surnaturelles, ne peut, parce qu'il n'en connaît pas la nature, les révoquer en doute; car où habite Dieu, qui est au dessus de la nature, là il peut bien se trouver des choses au dessus de la nature et de ses lois ordinaires. 4. La paresse, l'orgueil, et l'envie des démons, sont les trois principales armes dont ces esprits infernaux se servent pour nous faire la guerre. La première de ces armes doit nous couvrir de confusion, la seconde nous précipite dans la dernière des misères; la troisième, est une véritable félicité et un bonheur parfait. 5. Après Dieu, c'est à notre conscience que nous devons recourir, comme à la règle que nous avons à suivre : c'est elle qui est chargée de nous faire connaître de quel côté s'élèvent les vents impétueux des tentations, de nous avertir quand il est à propos de tendre les voiles, et de nous diriger de manière que nous puissions éviter un triste naufrage. 6. Les démons, dans tous nos exercices de piété, nous tendent des pièges pour nous faire tomber dans trois fosses qu'ils ont eux-mêmes creusées. Ils s'efforcent d'abord de nous détourner de bien faire; ensuite, s'ils se voient vaincus dans ce premier combat, ils cherchent à corrompre notre cœur par des intentions mauvaises qu'ils nous inspirent, et à nous empêcher de ne nous proposer pour fin que la Gloire de Dieu; enfin, si dans cette seconde attaque, leurs efforts ne leur ont servi de rien, ils se cachent dans l'intérieur de notre âme, qui est tranquille, afin de lui inspirer que nous sommes vraiment heureux de ne rien faire que selon la Volonté de Dieu et pour sa plus grande gloire. Or nous résisterons à la première tentation par une grande diligence, une scrupuleuse exactitude à nos devoirs, et par la pensée et le souvenir de la mort; à la seconde, par l'obéissance et le mépris de nous-mêmes; et à la troisième, par la connaissance de notre imperfection et de l'inutilité de nos œuvres. C'est là le grand travail que nous avons continuellement à faire jusqu'à ce que le feu de l'amour de Dieu nous fasse entrer dans son sanctuaire. Car alors nous ne serons plus inquiétés, ni portés aux péchés, à cause de nos vieilles habitudes. Dieu, qui est un feu purifiant (Heb 12,29), consumera toutes les ardeurs funestes de la concupiscence, arrêtera tous ses mouvements déréglés, nous préservera de la présomption, et nous empêchera de tomber, soit dans l’aveuglement intérieur, soit dans l'aveuglement extérieur. 7. Mais les démons font précisément le contraire; car aussitôt qu'ils ont pu rendre notre âme leur triste esclave, ils y éteignent toute sorte de lumières, et nous réduisent à une telle pauvreté, qu'il ne nous reste ni prudence, ni discernement, ni connaissance, ni respect pour rien, et que nous n'avons pour partage que l'indolence, la stupeur, l'endurcissement, l'indiscrétion et l'aveuglement. 8. Ils connaissent par leur propre expérience, tout ce que nous venons de dire, ceux qui ont eu le bonheur de sortir de l'abîme d'impureté par le moyen des jeûnes et des autres austérités de la pénitence de renoncer à une confiance insensée dans leurs propres forces, pour suivre les règles de la modestie, et d'abandonner une honteuse impudence pour observer les lois de la pudeur. Ils savent qu'aussitôt que leur âme fut délivrée et guérie de ses maladies mortelles, que leur esprit se trouva hors de ces ténèbres épaisses dans lesquelles il était enseveli, et que leur cœur fut purifié de la corruption du péché, ils eurent honte d'eux-mêmes, des actions qu'ils avaient faites et des paroles qu'ils avaient dites pendant leur déplorable captivité. 9. En effet, à moins que la lumière divine ne s'obscurcisse dans une âme, et qu'elle ne tombe dans les ténèbres d'une nuit funeste, les démons sont dans l'impuissance de lui enlever sa sainteté et son innocence, de l'immoler à leur fureur et de la perdre. Oui, je le répète tant qu'une âme en cette vie est éclairée des rayons du soleil de justice, les démons sont privés du pouvoir de lui faire du mal. Or les démons ravissent à une âme le trésor précieux de son innocence, en la soumettant, sans qu'elle s'en aperçoive, sous leur esclavage; ils l'immolent à leur fureur, lorsqu'ils étouffent en elle toutes les lumières de la conscience, de sorte qu'ils la précipitent dans des crimes honteux et détestables; enfin ils achèvent de la perdre, lorsqu'après l'avoir fait tomber dans le péché, ils la livrent aux horreurs du désespoir. 10. Que personne ne s'avise ici d'alléguer sa faiblesse pour excuse, et ne dise que les commandements de Dieu sont impossibles; car il en est qui, sur plisseurs choses, vont même au delà de ce que l'Évangile commande et pour en être assuré, faites attention à celui qui aima son prochain plus que lui-même. 11. Que ceux qui sont humbles, prennent courage, quand même il leur arrive d'être troublés par leurs passions ! car, bien que dans un temps ils aient eu le malheur d'être tombés dans toute sorte de péchés, de s'être laissé prendre à tous les pièges du démon, et d'avoir éprouvé toutes les maladies spirituelles, si Dieu leur accorde enfin la guérison, ils pourront encore servir eux-mêmes aux autres de médecins, de phares, de lampes et pilotes; leur faire connaître les différents symptômes des maladies de l'âme, et, par l'expérience qu'ils en ont faite, les préserver des dangers auxquels ils seraient exposés. 12. S'il se trouve des gens qui, quoique tyrannisés par leurs passions, soient capables de donner à leurs frères des leçons utiles et simples, je suis bien éloigné de le leur défendre — qu'ils le fassent; car il pourra fort bien arriver qu'à cause des exhortations qu'ils feront, ils prennent honte d'eux-mêmes, et commencent à faire mieux et à mener une meilleure vie. Cependant ces personnes ne peuvent pas se mêler de gouverner ni de conduire leurs frères. J'ai vu des hommes qui, étant tombés dans le bourbier du vice, et s'y roulant de plus en plus, ne laissaient pas de raconter à ceux qu'ils voyaient exposés au même péril, comment et pourquoi ils avaient été eux-mêmes victimes de leur témérité. Or ils pourraient de la sorte pour préserver les autres de la chute qu'ils avaient faite, et les empêcher de tomber dans l’abîme où ils se voyaient. Mais qu'est-il arrivé ? Dieu, qui est infini en miséricorde, comme il l'est en puissance, eut égard aux charitables intentions de ces personnes, et les délivra des chaînes odieuses de leurs péchés. Quant à ceux qui, de sang froid, se soumettent volontairement au joug tyrannique des passions, tout ce qu'ils ont à faire, c'est de garder le silence c'est par ce seul moyen qu'ils pourront donner des leçons aux autres. Aussi leur est-il nécessaire de se rappeler ces paroles : Jésus commença d'abord à a faire, et ensuite Il enseigna. (Ac 1,1) 13. La mer que nous avons à traverser, ô humbles religieux, est terrible et furieuse : elle est continuellement agitée par des vents impétueux, et bouleversée par des tempêtes effrayantes; elle est remplie d'écueils menaçants, de gouffres profonds, de pirates impitoyables, de golfes dangereux, de bancs de sable; elle est peuplée de monstres affreux, couverte de flots et de vagues écumantes. Or les écueils de cette mer sont la colère, qui cause tout-à-coup dans une âme un embrasement terrible; les gouffres sont ces vertiges qui s'emparent de nous et nous précipitent dans le désespoir, qui est un abîme sans fond; ces syrtes et ces bancs de sable, sont les ténèbres de notre esprit, lesquelles nous font souvent prendre le mal pour le bien; ces monstres, nous représentent notre propre corps pesant, lourd et dangereux par les passions cruelles qu'il nourrit et fomente; ces pirates dévastateurs, sont les ministres et les auteurs de la vaine gloire, lesquels nous enlèvent impitoyablement tout le bagage et tout le trésor de nos bonnes œuvres, fruit de nos travaux et de nos sueurs; par les flots, entendons les excès et les dérèglements de l'intempérance, qui nous jette brusquement dans la gueule et sous la dent des monstres de l'enfer; et par tourbillons, comprenons l'orgueil qui, chassé du ciel où le démon lui donna naissance, veut maintenant nous élever jusqu'aux cieux pour nous faire tomber jusqu'au plus profond de l’abîme. 14. Ceux qui sont des hommes consommés dans les sciences, connaissent très bien les choses convenables d'abord à ceux qui commencent leurs études; celles qui conviennent à ceux qui ont fait quelques progrès; enfin celles qui sont propres à ceux qui sont devenus capables de donner des leçons aux autres. Prenons bien garde qu'après avoir longtemps étudié, on ne nous trouve toujours qu'aux premiers éléments de la science spirituelle et religieuse. N'est-il pas honteux pour un vieillard de ne se voir qu'aux écoles de l'enfance. Or voici le véritable alphabet de ceux qui veulent apprendre la science religieuse : A. l'obéissance; B. le jeûne; C. le cilice; D. la cendre; E. les larmes; F. la confession; G. le silence; H. l'humilité; I. les veilles; K. la générosité; L. le froid; M. le travail; N. les afflictions; O. les mépris; P. la contrition; Q. l'oubli des injures; R. la charité fraternelle. S. la douceur; T. la foi sainte et exempte de curiosité; V. l'indifférence pour le monde; X. une sainte aversion pour les parents; Y. un détachement parfait de toute chose; Z. une grande simplicité unie à une grande innocence, et une abjection volontaire. Quant à ceux qui ont déjà fait quelques progrès dans la science religieuse, leur étude et leur application particulières doivent être de s'efforcer de remporter une victoire complète sur la vaine gloire et sur la colère, de nourrir et d'augmenter en eux l'espérance des biens à venir, de rendre plus parfaite la paix de leur âme et plus grande, la circonspection de leur esprit, de graver de plus en plus dans leur mémoire le souvenir et la pensée des jugements de Dieu, de perfectionner leurs sentiments de tendresse et de commisération pour leurs frères, d'exercer envers eux les devoirs de l'hospitalité avec affection et prudence, d'être plus doux et plus modérés dans les corrections, plus fervents et plus recueillis dans la prière, enfin, de mépriser entièrement les richesses. Pour ce qui regarde les parfaits qui, par une piété fervente, ont consacré à Dieu toutes les pensées de leur esprit, tous les sentiments de leur cœur et toutes les actions de leur corps, voici l'alphabet qui leur convient : Ils doivent : A. conserver leur cœur libre de toute passion; B. nourrir dans eux une charité parfaite; C. pratiquer une humilité profonde; D. avoir un éloignement absolu de toutes les vanités du siècle; E. être dévorés d'un zèle ardent pour conserver la Présence de Jésus Christ; F. user d'un soin tout particulier pour défendre le trésor de leurs prières et des lumières qu'ils ont reçues, des embûches et des pièges des démons qui veulent le leur enlever; G. s'enrichir de plus en plus des dons et des illuminations célestes; H. désirer ardemment la fin de leur vie; I. n'avoir que de l'aversion pour la vie présente; K. éviter tout ce qui peut flatter la chair; L. mériter de devenir auprès de Dieu des avocats et des intercesseurs pour tout le monde; M. faire en sorte d'engager Dieu à faire miséricorde aux hommes; N. participer au ministère des anges; O. devenir des trésors de science; P. se rendre dignes d'être les interprètes des vérités surnaturelles et des mystères; Q. mériter d'être les dépositaires des secrets du ciel; R. sauver les hommes; S. soumettre les démons; T. triompher des passions et des vices; V. vaincre la chair; X. gouverner la nature entière; Y. faire une guerre à toute outrance au péché; Z. être des temples vivants de la paix souveraine du cœur, et par la grâce des imitateurs parfaits de notre Seigneur Jésus Christ. 15. Lorsque nous nous sentons frappés d'une maladie grave, c'est alors que nous devons redoubler de soin et de vigilance. En effet c'est dans ces moments où les démons, nous voyant comme abattus par la maladie, et incapables par la faiblesse de notre corps, de nous servir de nos saints exercices qui étaient les armes avec lesquelles nous les mettions en fuite, ont coutume de faire les derniers efforts pour nous vaincre. Pendant leurs maladies les gens du monde sont exposés aux emportements de la colère, et quelques fois à l'impiété des blasphèmes, mais les moines et ceux qui vivent loin du siècle, s'ils ont en abondance les choses qui leur sont nécessaires, sont exposés aux tentations d'intempérance, et même de luxure. Quant à ceux qui sont privés de secours lorsqu'ils sont malades, comme les solitaires, ils sont terriblement tentés de se livrer à la négligence, à l'ennui et à la tristesse. 16. J'ai même vu quelquefois que le démon de l'incontinence augmentait les douleurs de certains malades, au point de leur donner des mouvements par lesquels leur conscience pouvait être troublée. Or je ne pouvais me rendre raison comment, au milieu d'aussi grandes souffrances, la chair fût encore capable de se révolter contre l'esprit; mais comme je retournai ensuite pour les visiter, je les trouvai sur leur lit de douleur tellement soulagés par les secours spirituels que Dieu leur avait accordés et par les sentiments de componction qu'il leur avait inspirés, que la consolation qu'ils avaient ainsi reçue, leur ôtait le sentiment de leurs souffrances, et leur faisait désirer de ne jamais en être délivrés. Enfin je retournai encore les voir, et je les trouvai toujours malades; mais je remarquai que leurs douleurs et leurs souffrances avaient été des remèdes salutaires et efficaces pour les guérir de leurs maladies spirituelles. J'adorai Dieu et le remerciai de la grâce qu'il faisait aux hommes en se servant de leur corps de boue pour les purifier et les sanctifier. 17. Il y a dans le fond de notre âme un sentiment tout spirituel, lequel nous porte sans cesse à le chercher dans nous, quand même il ne s'y trouve pas et lorsque nous avons le bonheur de le trouver, nous ne tardons pas de voir les ténèbres produites par les passions déréglées se dissiper et disparaître de notre esprit. C'est ce qui a fait dire à un homme sage cette parole remarquable : Vous trouverez en vous un sentiment tout divin. 18. La vie monastique doit remplir tous les sentiments du cœur, régler toutes nos actions, veiller sur nos paroles, former nos pensées et présider à tous nos mouvements : autrement ce ne serait pas une vie monastique, et bien moins, une vie angélique. 19. Concevez la différence qu'il y a entre la providence de Dieu, le secours de sa grâce, la protection qu'Il accorde, la miséricorde dont il use à notre égard et les consolations dont il nous fait jouir. Sa providence brille d'une manière frappante dans tous les ouvrages de l'univers, mais nous ne voyons le secours de sa grâce qu'au milieu des fidèles; sa protection, que parmi ceux qui sont vraiment fidèles; nous observons sa Miséricorde dans ses serviteurs dévoués, et ses Consolations parmi ceux qui l'aiment sincèrement. 20. Parfois, ce qui a coutume d'être un bon remède pour certaines personnes, devient un poison véritable pour d'autres, et que ce même remède donné à la même personne, mais dans des circonstances différentes, lui est salutaire dans un temps, et funeste dans un autre. 21. J'ai vu un médecin spirituel, également ignorant et indiscret, lequel accabla si mal à propos de reproches un pauvre malade qui languissait sous le poids de ses péchés, qu'il le poussa dans les horreurs du désespoir. S'en ai vu un autre, plein de science et de sagesse, qui, par des reproches humiliantes, fit comme une incision dans un cœur gonflé d'orgueil, et en fit heureusement sortir toute la corruption infecte qui le gâtait et le salissait. 22. J'ai vu le même malade spirituel qui tantôt, pour se guérir des passions qui corrompaient son cœur, avalait comme un breuvage salutaire toute l'amertume de l'obéissance, et en devenait vigoureux, ardent, laborieux et vigilant, et tantôt, pour rendre la vue à l'œil de son âme, se tenait dans une immobilité et un silence parfaits, ne regardant personne et ne parlant à personne. Que celui qui a des oreilles pour entendre, comprenne ce que je veux dire ici ! 23. Il y en a, et je vous avoue que je ne sais comment car je n’ai point cherché à connaître par moi-même et par mon propre jugement comment arrivaient ces dons et ces faveurs précieuses, mais enfin il y en a qui sont naturellement portés à la continence, au repos de l'âme, à la modestie, à la douceur et à la componction du cœur. Il y en a d'autres qui ont des inclinations opposées à ces vertus, et qui combattent de tout leur pouvoir ce mauvais naturel. Or, quoique ces derniers ne triomphent pas toujours de leurs penchants, je les crois préférables aux premiers; car ils triomphent de la nature même. 24. Ne venez donc pas vous glorifier devant moi, vous qui, sans travail et sans peine, jouissez de ces dons et de ces faveurs de la nature; mais confessez avec humilité que le souverain Dispensateur des dons ne vous a si bien favorisés, que parce qu'Il connaissait votre extrême faiblesse, qu'Il prévoyait que, sans ces grâces toutes gratuites, vous vous seriez perdus, et parce que dans sa Bonté infinie, Il voulait vous sauver. Nous devons encore observer qu'une bonne éducation, des instructions salutaires reçues dans notre enfance, les exercices spirituels auxquels nous nous sommes livrés pendant notre adolescence, peuvent dans la suite de notre vie nous porter à pratiquer la vertu et à faire profession dans la vie monastique; mais que toutes ces choses peuvent nous en détourner, si elles n'ont pas été bonnes et chrétiennes. 25. Les anges sont une lumière pour les moines; les moines doivent être la lumière des autres hommes. C'est pourquoi ils sont obligés spécialement à faire tous leurs efforts pour devenir des hommes exemplaires, et pour ne jamais, soit dans leurs paroles, soit dans leurs actions, donner lieu à personne de se scandaliser; car si la lumière se change en ténèbres, que deviendront les ténèbres elles-mêmes, je veux dire ceux qui vivent au milieu du monde ? (cf. Mt 6,23) 26. Si donc vous m'écoutez et que vous désiriez suivre mes avis, vous n'oublierez pas qu'il nous importe beaucoup de ne pas être légers ni inconstants, et de ne pas diviser les forces de notre âme, déjà si pauvre et si faible, si nous voulons combattre avec quelque avantage les milliers d'ennemis qui nous attaquent; car autrement il nous serait impossible de connaître et d'éviter les ruses infinies dont ils se servent pour nous perdre. 27. Munissons-nous donc des secours que nous offre la très sainte Trinité, et employons trois vertus pour faire la guerre à trois vices différents. Si nous ne le faisons pas, nous nous exposons évidemment à des maux et à des inquiétudes innombrables. 28. En effet, si Dieu, qui autrefois changea la met en terre ferme, est avec nous, ne serons-nous pas semblables aux Israélites ? éclairés et protégés par sa Présence, nous passerons sans danger à travers les flots mugissants, et nous verrons nos Égyptiens ensevelis sous les eaux; mais, au contraire, si Dieu ne nous assiste pas qui pourra seulement entendre, sans frémir, le bruit confus des vagues et des flots ? qui sera capable de se soutenir devant les efforts furieux de sa propre chair ? 29. Si Dieu, par les bonnes œuvres que sa grâce nous fera pratiquer, se montre dans notre cœur, aussitôt tous nos ennemis, qui sont les siens, seront dissipés et mis en déroute; et si, par la sainteté et la ferveur de nos prières, nous L'appelons à notre secours, tous ceux qui, selon l'expression de David, haïssent le Seigneur, prendront la fuite en sa présence (cf. Ps 67,2), et nous pouvons ajouter : à la nôtre. 30. N'oublions pas que ce ne sera point avec des paroles vaines et stériles, que nous apprendrons les choses célestes; mais par nos travaux, nos efforts et nos sueurs. Il ne s'agira pas en effet à la fin de notre vie de présenter au souverain Juge des paroles, mais des œuvres. 31. Lorsque quelqu'un apprend qu'un trésor est caché quelque part, il s'empresse de fouiller pour le trouver, et s'il le trouve, il le garde avec un grand soin. Ceux qui sont riches sans avoir travaillé pour le devenir, dissipent ordinairement leur fortune. 32. Les habitudes vicieuses et invétérées ne se corrigent pas sans de grandes difficultés ni sans de grands efforts; les moines qui les ont encore fortifiées par de mauvaises actions continuellement répétées, ou tombent misérablement dans le désespoir, ou par leur aveuglement ne retirent aucun avantage de leur profession religieuse et de leur consécration à l'obéissance. Mais faut-il entièrement désespérer de ces personnes ? Non, parce que je sais que Dieu est tout-puissant et qu'Il peut les retirer de cet abîme. 33. Quelques personnes me proposèrent un jour une question fort difficile à résoudre, qui, à mon avis, surpasse la portée de l'esprit de ceux qui me ressemblent et qu'on ne trouve dans aucun ouvrage connu : Quels sont, me dirent-ils, les vices qu'enfantent les huit péchés capitaux, et quels sont les trois péchés de ces huit qui produisent les cinq autres ? Or, comme je ne pus répondre à cette question si hardie, je fus obligé d'avouer mon incapacité. Mais voici ce que ces pères m'en dirent eux-mêmes. L'intempérance est la mère de la luxure; la vaine gloire, de la paresse; la tristesse et la colère sont mères de l'orgueil, de l'envie et de l'avarice, et la vaine gloire est encore mère de l'orgueil. Quand ils m'eurent expliqué cette première chose, je me permis de demander à ces hommes vénérables de vouloir bien contenter mes désirs, en m'apprenant quels étaient les péchés produits par les péchés capitaux, et de quel péché chacun tirait son origine, et voici encore la réponse qu'ils me firent avec une bonté et une affection admirables : Il ne faut pas chercher de l'ordre et de la raison parmi des passions folles et impétueuses, puisqu'on n'y trouve que désordre et confusion. Ce fut ce qu'ils me démontrèrent par des exemples très justes et très convenables et par des raisons nombreuses, fortes convaincantes; et j'en dirai ici quelque chose pour vous donner la facilité de juger du reste. Ainsi, selon ces pères, les ris dissolus et à contretemps viennent, tantôt de l'incontinence, tantôt de l'intempérance, tantôt de la vaine gloire, principalement lorsqu'on se glorifie sans honte et sans pudeur; l'excès dans le sommeil est produit quelquefois par les excès de la bonne chère, d'autres fois par les jeûnes observés dans un esprit d'orgueil; ici par la paresse, là par les besoins réels de la nature, des paroles inutiles procèdent assez souvent et de l'intempérance et de la vaine gloire; on est esclave de la paresse ou parce qu'on se traite trop délicatement, ou parce qu'on manque de crainte de Dieu; les blasphèmes sont ordinairement les enfants de l'orgueil; ils peuvent encore être occasionnés en nous par notre penchant à croire que nos frères s'en rendent coupables; quelquefois cependant c'est le démon qui en est l'auteur, à cause de l'envie qu'il nous porte. L'endurcissement du cœur prend naissance, et dans la bonne chère, et dans une certaine indifférence pour les choses saintes, et dans l'affection que nous avons pour les créatures; cette affection mondaine et sensuelle peut elle-même venir de l'esprit d'impureté, l’avarice, d'intempérance, de vaine gloire et de plusieurs autres causes. La colère et la malice tirent communément leur origine de l'enflure du cœur et de l’estime que nous avons pour nous; l'hypocrisie est le fruit de la complaisance que nous avons en nous-mêmes, de la confiance que nous mettons dans notre conduite, laquelle nous excite à penser et à croire que nous sommes capables de nous suffire, d'être maîtres et les arbitres de nos actions. Les vertus opposées à ces vices prennent naissance dans des causes toutes contraires. Mais comme le temps me manque, je ne peux traiter de chacune d'elles en particulier; c'est pourquoi je me contente de dire que c'est l'humilité qui chasse tous les vices de notre cœur, et leur donne la mort, et que ceux qui ont le bonheur de posséder cette vertu, triomphent de tous les vices et de toutes les passions. La volupté et la méchanceté sont les mères fécondes de toute sorte de maux; et ceux qui sont esclaves de ces deux, vices redoutables, ne verront jamais le Seigneur. C'est ne rien faire que de terrasser la première, si nous n'abattons pas la seconde de ces deux passions. 34. Apprenons à craindre le Seigneur par la crainte que nous inspirent l'autorité et la puissance des princes et des magistrats, et la présence des animaux féroces; apprenons à l'aimer et à désirer de le posséder, par l'exemple des mondains : voyez comme ils se livrent à l'amour des créatures pour les beautés qu'ils aperçoivent dans elles. Sachons ici que rien ne nous défend de profiter des exemples des passion cherchant à établir les vices dans les cœurs, pour nous former aux vertus qui leur sont contraires. 35. Le siècle où nous vivons, est horriblement corrompu. On ne voit partout qu'orgueil et dissimulation. On pratique peut-être encore quelques vertus extérieures; mais sont-elles réelles et véritables ? voit-on aujourd'hui ces dons et ces faveurs extraordinaires dont autrefois Dieu se plaisait à récompenser la ferveur et la sincérité de la dévotion ? cependant le monde eut-il jamais plus besoin de ces dons et de ces grâces ? Mais ne soyons pas étonnés de cette absence et de cette privation; car ce ne sont pas précisément les travaux extérieurs qui nous font trouver et posséder Dieu, ce sont la simplicité et l'humilité du cœur, selon cette parole de saint Paul: La puissance du Seigneur se fait surtout remarquer dans la faiblesse de l'homme (cf. 2 Cor 12,9), et il est certain que Dieu ne rejettera jamais un cœur humble et docile. 36. Lorsque nous verrons quelques-uns de nos frères qui servent Dieu, tomber dans quelque maladie corporelle, ne soyons pas si méchants que de croire que cet accident fâcheux leur est arrivé par un secret jugement de Dieu qui les punit par là de quelques fautes qu'ils ont commises; mais dans la simplicité de notre cœur, et sans mauvaises pensées, prenons soin d'eux : car ils sont membres du corps auquel nous appartenons tous; ce sont des compagnons d'armes avec lesquels nous faisons la guerre à un ennemi commun. 37. Dieu envoie quelquefois des maladies pour purifier notre âme des souillures que les péchés lui ont faites, et quelquefois pour nous aider à chasser la vanité de notre esprit. 38. Il n'est pas rare encore que Dieu, dont la Bonté et la Miséricorde sont infinies, en nous voyant lâches et paresseux dans les saints exercices de la piété, Se serve de la maladie comme d'une mortification salutaire et plus facile pour humilier et affaiblir nos corps rebelles, pour purifier notre esprit des mauvaises pensées et pour délivrer notre cœur des passions déréglées. 39. Mais observons ici que pour toutes les choses qui nous arrivent, soit visibles, soit invisibles nous les recevons de trois manières différentes; d'abord, avec un esprit de douceur et d'humilité; ensuite, avec des sentiments de colère et de répugnance; enfin, avec une froide indifférence. C'est ce que j'ai vu moi-même dans trois frères qui avaient été corrigés et punis ensemble. Le premier ne souffrit la correction et n'accepta la pénitence qu’avec colère et indignation; le second endura l'une et reçut l'autre sans trouble et sans tristesse; enfin, le troisième supporta l'une et l'autre avec joie et contentement. 40. J'ai vu des cultivateurs semer les mêmes grains et se proposer des fins différentes; car les uns se proposaient dans la récolte qu'ils attendaient, de payer leurs créanciers, et les autres, d'augmenter leurs richesses; ceux-ci avaient l'intention de faire des présents à leurs maîtres, et ceux-là, de mériter de la part des passants des louanges sur leur excellente manière de cultiver leurs champs; d'autres ne désiraient avoir une récolte abondante, qu'afin de pouvoir contenter l'envie qui rongeait leur cœur, et de vexer leurs rivaux; et d'autres ne voulaient une belle récolte qu'afin d'éloigner d'eux la honte d'être regardés pour des négligents et des paresseux. Mais voici quelle est la semence dont se servent ces laboureurs : ce sont les jeûnes, les veilles, les aumônes, les services rendus à leurs frères, l'obéissance et autres choses semblables. Quant aux fins et aux intentions qu'ils se proposent, qu'on les examine et qu'on les cherche avec soin et sérieusement. 41. Que ce soit devant le Seigneur et avec les mêmes précautions que prennent ceux qui vont puiser de l'eau dans une fontaine; car il arrive quelquefois qu’en ne voulant puiser que de l'eau, on prend aussi des grenouilles. C'est ainsi que nous-mêmes, en voulant pratiquer la vertu, nous mêlons avec elle des défauts : par exemple, l'intempérance se mêle facilement avec l'hospitalité, l'amour sensuel avec la charité, la finesse avec la discrétion, la malice avec la prudence; la fourberie, la paresse, la lenteur, la contradiction, la mauvaise volonté de vivre à sa guise et selon ses goûts, et la désobéissance, avec la douceur; l'arrogance, la fierté, avec le silence; la vanité avec la joie spirituelle, la paresse avec l'espérance, le jugement téméraire avec la charité; la tiédeur, l'engourdissement, avec la solitude et la retraite; l'aigreur, avec la chasteté; une trop grande confiance en soi-même avec l'humilité; quant à la vaine gloire, regardons-la comme un fard, un collyre, ou plutôt comme un venin subtil qui cherche à s'insinuer dans toutes les vertus. 42. Ne nous affligeons pas, si Dieu, n'exauce pas nos prières et nos supplications, aussitôt que nous le désirerions; car il désire Lui-même ardemment que tous les hommes soient tout de suite délivrés des passions qui les troublent et les tyrannisent. 43. Tous ceux qui demandent à Dieu quelque grâce, ne sont pas écoutés, c'est, je crois, pour quelqu'une des raisons suivantes : c'est parce, qu'ils ne sollicitent pas cette faveur dans le temps qu'il convient, parce qu'ils ne la demandent pas avec les dispositions requises, parce qu'ils sont possédés de quelque sentiment de vaine gloire et d'orgueil; enfin parce que, s'ils étaient exaucés, ils tomberaient dans la tiédeur et dans la négligence. 44. Personne, je pense, ne doute que les démons et les passions me se retirent de notre âme, tantôt pour un temps, tantôt pour toujours; mais il y a fort peu de gens qui sachent pourquoi les uns et les autres nous abandonnent de la sorte. 45. Il arrive que les passions quittent, non seulement ceux qui ont la foi, mais aussi ceux qui ne l'ont pas; exceptons-en néanmoins une, laquelle demeure en eux, pour tenir, elle seule, la place de toutes les autres : or cette passion si funeste et si terrible, qu'elle a chassé les anges du ciel, c'est l'orgueil. 46. Remarquons que le feu céleste et divin de la charité consume entièrement la matière de nos péchés. Lorsque les démons, de leur plein gré, se retirent de nous et ne nous tentent plus par le moyen des passions. 47. Ils ne le font ordinairement que pour nous tromper par une fausse sécurité que ce calme et cette tranquillité inspirent, et pour s'emparer plus facilement et tout d'un coup, de notre pauvre cœur, l'empoisonner par les vices de telle sorte, qu'il soit dans le cas de se tendre des pièges à lui-même et de se faire une guerre cruelle. 48. Je connais encore une autre ruse des démons quand ils cessent de nous fatiguer et de nous attaquer c'est que nous ayant déjà habitués au vice, ils n'ont pas besoin de nous tenter, et qu'en nous tentant ils craindraient de réveiller notre conscience qu'ils ont endormie. Nous pouvons dire ici que les enfants à la mamelle, sont la figure des pécheurs que les démons ont accoutumés au vice : lorsque leurs mères les retirent de leur sein, ils se mettent à sucer leurs doigts. 49. Sachons donc que ce sont la simplicité, l'innocence et l’intégrité de la vie, qui sont surtout capables de délivrer notre âme des perturbations et de l'agitation des passions, et de lui procurer une paix délicieuse, selon cette parole de David : C'est avec justice que j'attends mon salut du Seigneur, car c'est Lui qui sauve ceux qui ont le cœur droit, (cf. Ps 7,12) et Il nous délivre ainsi de nos maux, de manière qu'à peine nous en apercevons-nous et que nous sommes semblables aux petits enfants qu'on dépouille de leurs vêtements sans qu’ils aient le sentiment de leur nudité. 50. Les vices et la méchanceté ne sont point originairement dans la nature de l'homme, puisque Dieu n'est point l'auteur des passions. Mais il y a dans lui plusieurs bonnes inclinations naturelles que Dieu lui a données : telles sont, par exemple, la tendresse et la compassion pour les malheureux; ne voyons-nous pas les païens touchés de commisération pour ceux qui souffraient ? telles sont encore l'affection et la bienveillance : les animaux mêmes témoignent de la tristesse, en se voyant séparés les uns des autres; la foi, puisque nous sentons en nous une violente inclination à croire ce qu'on nous raconte; l'espérance, car nous n'empruntons et ne prêtons de l'argent, nous ne faisons des voyages sur terre et sur mer que dans l'espoir de quelques avantages et de quelque profit; et si l'amour que nous avons pour nos frères est fondé sur notre nature, et que la charité soit le lien et la perfection de la loi, il s'en suit que cette vertu, ainsi que les autres, n'est point hors de notre nature, et que ceux qui, pour ne pas pratiquer le bien, allèguent leur faiblesse, doivent être couverts de honte et de confusion. 51. Quant à la chasteté, à la douceur, à l’humilité, à la prière, aux veilles, aux jeûnes et à la componction, nous disons que ce ne sont pas des vertus qu'on puisse pratiquer par les seules forces de la nature. Or quelques-unes de ces vertus nous ont été enseignées par les hommes; d'autres, par les anges; d'autres, par le Verbe éternel de Dieu, qui nous en facilite la pratique par sa grâce. 52. Nous trouvons-nous dans l'indispensable nécessité de souffrir quelques maux ? la prudence nous dicte que nous devons toujours, si la chose est possible, choisir le moindre et le plus léger. Ainsi, par exemple, lorsque nous nous appliquons à la prière, s'il nous arrive quelques-uns de nos frères, faut-il alors interrompre notre saint exercice, ou faut-il, sans les saluer ni leur dire un seul mot, les laisser partir tout affligés de n'avoir pu s'entretenir un moment avec nous ? Je réponds ici que la charité est plus excellente que la prière; car celle-ci est une vertu particulière, et celle-là renferme toutes les vertus. 53. Dans ma tendre jeunesse il m'arriva qu’étant allé dans une ville, ou un gros bourg, je ne fus pas plus tôt à table, que je me sentis furieusement tenté sur l'intempérance et la vaine gloire; mais comme je craignais les effets déshonorants de la gourmandise, je préférai de succomber à la tentation de la vanité; car je connaissais que dans les jeunes gens le démon de la vaine gloire cède assez facilement le pas au démon de l'intempérance, et dans cela il n'y a rien qui doive nous étonner. Mais si dans les gens du monde l'avarice est pour eux la source funeste et principale de toute sorte de maux, disons-en autant de l'intempérance par rapport aux moines. 54. Ne manquons pas ici d'observer que Dieu permet quelquefois que des spirituels demeurent sujets à certains petits défauts, mais qui ne sont pas capables de les souiller ni d’offenser le Seigneur, afin que forcées à se faire des reproches continuels, elles puissent acquérir un grand trésor d'une humilité solide qu'il soit impossible à leurs ennemis de leur enlever. 55. Ceux qui n'ont pas vécu sous le joug salutaire de l'obéissance, ne sont pas capables de parvenir à une humilité sincère et véritable. Jugeons-en par ceux qui apprennent quelque art ou quelque métier : s'ils n'ont qu'eux-mêmes pour maîtres, feront-ils autre chose que de suivre les jeux de leur imagination ? connaîtront-ils les règles de cet art ? 56. Ce n'est pas sans raison que nos pères font consister la sainteté de la vie dans la pratique de l'humilité et de la tempérance, vertus qui, aux yeux des hommes, semblent être bien ordinaires et bien communes. En effet, la tempérance nous prive des plaisirs des sens, et l'humilité nous conserve dans cette privation et empêche aux voluptés charnelles de pousser en nous de nouveaux bourgeons. C'est pour la même fin que la pénitence a deux effets salutaires : elle efface en nous nos péchés, et nous fait acquérir l'humilité. 57. En général, les hommes pieux, se sentent portés à donner à ceux qui leur font des demandes et leur exposent leurs besoins; mais les personnes qui possèdent cette précieuse qualité dans un degré plus parfait, ne consultent que les besoins de leurs frères, et, pour faire des largesses, n'attendent pas qu'on les leur demande. Ne pas reprendre et ne pas exiger qu'on nous rende les choses qu'on nous a prises, ce n'est que le propre des hommes qui ont renoncé à toute affection pour les biens périssables. 58. Ne cessons donc jamais de considérer les vices et les vertus, afin que nous puissions savoir où nous en sommes par rapport à la piété. Commençons-nous? avançons-nous ? nous perfectionnons-nous ? 59. Les combats que nous livrent les démons, viennent de trois causes différentes : de notre amour pour les plaisirs, de notre orgueil et de l'envie qu'ils nous portent. Appelons heureux ceux qui sont les objets de l'envie des démons; mais disons qu'ils sont malheureux et bien malheureux, ceux qui se livrent à l'orgueil, et inutiles et vains, ceux qui sont esclaves des sens et attachés aux plaisirs de la chair. 60. Il est un certain sentiment, ou plutôt certaine habitude, qu'on doit appeler force et patience, par laquelle on ne redoute et l'on ne refuse aucun travail ni aucune peine : c'est cet esprit de force, de générosité et de patience qui enflammait tellement le cœur des martyrs, qu'ils allaient jusqu'à mépriser les tourments les plus affreux. 61. Nous devons mettre une grande différence entre veiller sur les pensées de notre esprit, et veiller sur les affections de notre cœur; car autant l'orient est éloigné de l'occident, autant la vigilance sur les affections de notre cœur l'emporte en dignité et en excellence sur la vigilance que nous exerçons sur les pensées de notre esprit, quoique l'une donne plus de travail et de peine que l'autre. 62. Se servir de la prière pour combattre les mauvaises pensées, les repousser avec horreur, les mépriser et e triompher entièrement, ne sont pas des choses qui ne se distinguent pas entre elles. Celui qui a dit à Dieu : Venez à mon aide, ô mon Dieu; Seigneur, hâtez-vous de me secourir (Ps 69,2), et autres paroles semblables, nous donne un exemple de ces trois choses; le même nous fait connaître la seconde, lorsqu'il dit : Je répondrai aux injustes accusations de ceux qui me chargent de reproches (Ps 118,42), et ailleurs : Vous nous avez mis en butte à tous nos voisins, (Ps 79,7); enfin il nous enseigne la troisième, celui qui a proféré ces mots : J'ai mis une garde à ma bouche; dans le temps que le pécheur s'élevait contre moi, je me suis tu et j’ai gardé le silence (Ps 38,2), et encore : Les orgueilleux agissaient avec beaucoup d'injustice à mon égard, mais je ne me suis pas détourné de votre sainte loi (Ps 118,51). Or celui qui possède la seconde de ces dispositions, a souvent besoin de recourir à la prière, parce qu'il n'est pas assez préparé ni assez fort pour résister aux démons; celui qui se sert de la prière, sans vouloir exciter en lui l'horreur des mauvaises pensées, ne pourra jamais les chasser ni les éloigner de son esprit; enfin celui qui possède la troisième, rejette avec dédain et décourage entièrement les démons. 63. On ne peut pas, naturellement parlant, saisir ni limiter ce qui est simple et spirituel. C'est Dieu seul, qui a tout créé, qui en est capable. 64. Comme ceux qui ont l'odorat excellent, sentent facilement les parfums aux approches d'une personne qui en a sur elle, quoiqu'elle les tienne cachés; de même une âme pure sent facilement en elle-même, par un don particulier de Dieu, la bonne odeur de la vertu qu'elle a reçue de lui. Je vais plus loin, et je ne crains pas de dire que quelquefois elle sent même dans les autres, sans qu'ils s'en aperçoivent, la mauvaise odeur du vice dont heureusement elle est délivrée. 65. S'il est vrai que tous ne peuvent prétendre à jouir de l’impassibilité, qui délivre de toutes les passions; il est également vrai que tous peuvent se réconcilier avec Dieu et obtenir le salut éternel. 66. Gardez-vous bien d'estimer et de vouloir imiter certaines personnes qui doivent totalement vous être étrangères, je veux dire ces gens curieux qui veulent témérairement pénétrer les secrets de la divine Providence, approfondir les illuminations que Dieu répand dans quelques âmes privilégiées, et prononcer dans eux-mêmes que Dieu fait acception des personnes. Toutes ces sortes de personnes font bien voir que réellement elles sont les tristes enfants et les malheureuses esclaves de l'orgueil. 67. L'avarice, pour se cacher, se couvre quelquefois du manteau de l'humilité; la vaine gloire, au contraire, et l'incontinence portent à de grandes aumônes. Quant à nous, faisons tous nos efforts pour nous affranchir de ces deux passions détestables, et ne cessons d'avoir des sentiments de bienveillance envers les pauvres, et de leur faire du bien. 68. Quelques-uns ont dit qu'il y avait des démons ennemis d'autres démons, et qu'ils se faisaient la guerre les uns aux autres. Pour moi, tout ce que je sais, c'est qu'ils en veulent tous à la perte de nos âmes. 69. Nos exercices spirituels, soit extérieurs et visibles, soit intérieurs et invisibles, sont ordinairement précédés d'une bonne résolution et d'un bon propos, d'une sainte affection et d'un pieux désir; mais toutes ces heureuses dispositions, nous les devons à la grâce de Dieu, qui agit en nous et avec nous. 70. Sans le bon propos, nous ne ferions point de bonnes œuvres; car si, comme nous l'enseigne l'Ecclésiaste : tout ce qui se passe sous le ciel, doit se faire dans un temps convenable (Ec 3,1), nous sommes essentiellement obligés dans notre saint état, qui est une république céleste, à considérer avec la plus grande attention quelles sont les choses qui conviennent aux circonstances dans lesquelles nous nous trouvons, et de quelle manière elles conviennent; car il est certain que, pour ceux qui combattent dans la carrière de la vie religieuse, il y a un temps où ils jouissent d’une grande tranquillité d'âme et sont délivrés de tout trouble et de toute agitation. Or je ne parle ici qu'à ceux qui ne font que d'entrer dans cette sainte carrière. Il est encore certain qu'il y a un temps de larmes et un temps d'aridité et de dureté de cœur, un temps pour obéir et un temps pour commander, un temps pour jeûner et un temps pour manger, un temps de guerre où notre corps est précisément l'ennemi que nous avons à combattre, et un temps de paix où nous avons heureusement triomphé des ardeurs de la concupiscence, un temps de tempête et un temps de sérénité, un temps de tristesse et un temps de joie, un temps pour enseigner et un temps pour apprendre, un temps où l'enflure du cœur souille la conscience, et un temps où l'humilité la purifie; un temps de combat et un temps de repos, un temps de tranquillité et un temps de travail, un temps pour prier longuement et avec assiduité, et un temps pour exercer les fonctions de son état ou de son emploi. C'est pourquoi, loin de nous laisser entraîner par une ardeur pleine d'orgueil, ne faisons chaque chose qu'au temps qui lui est assigné et qui lui convient. Gardons-nous en hiver de chercher des fruits qu'on ne trouve que pendant l'été, et de vouloir moissonner quand il s'agit de semer; car il est un temps destiné à semer les grains précieux des travaux, des sueurs et des austérités, et un autre temps pour en recueillir les fruits inestimables et incompréhensibles. 71. Il est des personnes, qui, par une disposition secrète et impénétrable de la divine Providence, reçoivent la récompense de leurs travaux avant même de s'y livrer; d'autres, pendant qu'elles s'y appliquent; d'autres, après les avoir terminés; d’autres, enfin, ne la reçoivent qu'après leur mort. Nous devrions ici chercher à connaître quelles ont été les plus humbles de ces différentes personne. 72. Nous remarquerons qu'il est une espèce de désespoir qui vient de la multitude des péchés qu'on a commis, des reproches poignants de la conscience, et de la tristesse cruelle et insupportable que la vue de leur énormité inspire à une âme. Ce désespoir arrive ordinairement à ceux qui sont comme accablés par la multitude effrayante des blessures que leurs passions leur ont faites, et qui succombent sous le poids immense de leurs iniquités. Nous observerons aussi qu'il est une autre espèce de désespoir qui prend naissance dans l'orgueil et dans la folle estime que nous avons de nous-mêmes. Or cette nouvelle espèce de désespoir est le partage ordinaire des personnes qui, après être tombées dans quelques fautes considérables, ne veulent pas reconnaître qu'elles s'en sont rendues coupables. Mais si l'on veut tant soit peu réfléchir, on trouvera que celui qui a le malheur de se livrer au premier désespoir, se trouve exposé à tomber dans toute sorte de crimes, et que celui qui se livre au second, pourra fort bien extérieurement continuer d'être fidèle, aux saints exercices de la vie religieuse, quoique ses sentiments soient contraires à sa conduite. Cependant ces deux espèces de pécheurs désespérés peuvent obtenir leur guérison : le premier, en se corrigeant et en mettant une confiance fidèle; le second, en pratiquant l'humilité, et en cessant de faire des jugements téméraires. 73. Il est une chose fort extraordinaire et très surprenante, et qui néanmoins ne doit étonner personne, c'est d'entendre les gens tenir les discours les plus édifiants et de les voir tomber dans les fautes les plus effrayantes. L'orgueil dans le ciel a dénaturé et perdu les anges. 74. Que dans toutes vos actions et dans tous vos exercices, votre règle soit de bien examiner, si vos démarches et vos opérations corporelles, ainsi que celles qui, tout purement spirituelles, sont conformes à la loi de Dieu; et cette règle regarde aussi bien ceux qui sont soumis au joug de l'obéissance, que ceux qui ne reconnaissent point de supérieur. Ainsi par exemple, si dès le commencement de notre carrière religieuse nous nous livrons a quelque exercice, qu'il soit peu ou qu'il soit beaucoup important, et qu'après nous y être appliqués, nous n'en soyons pas devenus plus humbles, il est bien à craindre que cet exercice n'ait pas été fait de manière à pouvoir être agréable à Dieu et conforme à sa sainte Volonté. En effet, étant si novices dans les voies de la vie religieuse, c'est assurément l'humilité qui peut nous faire connaître si nos actions sont selon Dieu; comme dans ceux qui sont fort avancés dans la perfection, ce sont le repos de l'âme et l'affranchissement des passions, qui leur donnent cette connaissance; et dans ceux qui sont enfin parvenus à cette perfection, c'est une surabondance de lumière céleste. 75. Quelquefois les âmes élevées estiment peu les choses qui en effet sont d'une bien petite importance; mais souvent les esprit légers et superficiels regardent comme d'une grande importance ce qu'est ni bon ni parfait sous tous les rapports. 76. Lorsque l'air est pur, nous voyons briller les rayons du soleil; c'est ainsi qu’une âme que Dieu a purifiée par sa grâce, voit en elle-même briller les rayons de la lumière céleste. 77. Disons ici que faire une faute, mener une vie oisive, se laisser aller à la négligence, sentir des inclinations déréglées et les contenter, sont autant de choses qui doivent se distinguer les unes des autres. Que celui qui a reçu les lumières nécessaires pour pouvoir trouver cette différence, la cherche avec sincérité. 78. Plusieurs élèvent jusqu'au ciel et regardent comme le bonheur de la vie, la grâce et la puissance de faire des miracles et d'être grands devant les hommes par des faveurs et des grâces extraordinaires et surnaturelles; mais ils se trompent, mais ils ignorent que les dons du ciel qui nous exposent le moins à faire des chutes, sont les plus précieuses faveurs que nous puissions recevoir de Dieu. 79. Un homme qui est parfaitement purifié de ses péchés, connaît l'état et les dispositions intérieures du prochain, du moins d'une manière imparfaite. Le progressant, lui, juge de l’état de l’âme d’après le corps. 80. Un petit feu peut incendier tout une forêt, et une petite faute est capable de nous faire perdre tout le fruit de nos travaux spirituels. 81. Il existe un petit soulagement qu'on peut accorder à la chair rebelle et ennemie, lequel donne de la force à l'âme, sans exciter les ardeurs de la concupiscence; mais il est aussi de grandes fatigues qui la font révolter contre l'esprit. Dieu le permet ainsi, afin que, ne mettant point notre confiance en nous-mêmes nous ne la placions qu'en Dieu, qui par des moyens cachés peut mortifier en nous les feux les plus ardents de la concupiscence. 82. Voyons-nous des personnes qui nous aiment selon Dieu et pour Dieu, conservons à leur égard la retenue convenable, et gardons-nous bien d'user vis-à-vis d'elles de certaines familiarités; car il n'y a rien qui soit plus capable de nuire à l'amitié et de changer plus facilement les affections de tendresse en sentiments de haine et d'aversion, qu'une trop grande liberté. 83. Il est subtil et pénétrant l'œil de notre âme; car, si nous exceptons les anges, il surpasse en lumière et en finesse toutes les autres créatures. Aussi voyons-nous que ceux-là mêmes qui sont encore agités de leurs passions, pourvu qu'ils ne soient pas ensevelis dans la boue du péché, en vertu de la grande affection qu'ils ont pour leurs frères, connaissent les pensées et les sentiments qui sont dans leurs âmes. 84. Si rien n'est plus opposé à un être simple et spirituel que la matière et un corps, quiconque lira ces paroles, comprendra. 85. Les observations que les gens du monde avec leur esprit mondain et charnel font sur le cours de la divine Providence, ne peuvent produire en eux, et chez les moines, que des ténèbres épaisses et funestes. 86. Les personnes peu fermes et peu constantes dans la pratique de la vertu, ne doivent pas ignorer que c'est parce que Dieu prend un soin particulier de leur salut, qu'il permet qu'elles se trouvent exposées à des indispositions corporelles, à des dangers et à des accidents fâcheux et les gens parfaits dans le bien doivent voir dans calamités sensibles, une preuve bien consolante de la présence du saint Esprit, et une marque assurée de l'augmentation des dons célestes dans leur âme. 87. Nous devons nous défier d'un démon qui, lorsque nous sommes sur le point de nous endormir, cherche à remplir notre esprit de mauvaises pensées. Il espère que, par notre négligence à les chasser et à nous armer de la prière, nous nous livrerons au sommeil avec ces pensées, et qu'elles nous occasionneront de mauvais songes pendant la nuit. 88. Il est un esprit, que nous pouvons appeler précurseur, lequel se présente a nous à notre réveil, afin de nous tenter et de corrompre la pureté de notre âme par des pensées infâmes qu'il tâche de nous inspirer. C'est pourquoi nous devons employer le plus grand soin pour consacrer fidèlement à Dieu les prémices de chaque journée; car elle appartiendra sûrement à celui qui en aura été mis en possession le premier. Aussi un grand serviteur de Dieu me dit un jour cette parole remarquable : Je prévois et je connais ce que je serai pendant la journée par l'état dans lequel je me trouve, en la commençant. 89. Il y a plusieurs voies qui conduisent les âmes à la piété, mais il y a aussi plusieurs chemins qui peuvent les mener au malheur éternel. Or parmi ces voies qui font arriver au salut, il en est qui, ne convenant pas à quelques personnes, conviennent fort bien à d'autres; et cependant la conduite des unes et des autres est agréable à Dieu. 90. Dans toutes les tentations auxquelles nous sommes exposés, les démons font tous leurs efforts pour nous faire dire ou faire des choses qui ne conviennent pas. S'ils ne peuvent obtenir de nous ce qu'ils souhaitaient, ils cherchent fort adroitement à nous faire rendre à Dieu des actions de grâces de la victoire que nous avons remportée, dans l'esprit et avec les sentiments orgueilleux. 91. Ceux qui ont du goût pour les choses célestes, soit qu'ils aient renoncé volontairement aux choses de la terre, soit que la mort les en ait heureusement délivrés, montent glorieusement au ciel, tandis, au contraire, que ceux qui n'aiment que les choses de la terre, descendent, après leur mort en bas. Il n'y a point de milieu. 92. Mais n'est ce pas une chose surprenante que l'âme, qui a été créée dans notre corps et qui y a reçu sa nature et son existence, et non pas en elle-même, puisse néanmoins exister hors de notre corps, lorsque la mort l'en a séparée. 93. Les mères pieuses donnent naissance à des filles pieuses, et c'est le Seigneur qui a créé leurs mères. Or il n'y a point d'absurdité d’appliquer cette règle dans le sens contraire. 94. Celui qui ne se sent pas le courage nécessaire, ne doit pas aller à la guerre; c'est ce que Moïse, ou plutôt le Seigneur, avait autrefois défendu aux Israélites; car il est à craindre que le dernier égarement d'une âme ne soit pire que sa première chute. | |