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De l'usage des faveurs spirituelles

 

Père Frédéric-William Faber

 

 
  Introduction
   
  Distinction entre douceur et consolation
  Office de ces faveurs
  Leurs fruits
 
  Leur nécessité
  Leurs signes
  Raisons de la privation de ces faveurs
  Manière de les obtenir
  Du bon usage de ces faveurs.
  Contradictions entre auteurs anciens et modernes
 
 

Conclusion

 

 

 

 

 

 

 


Il n'y a pas de sujet sur lequel les traditions anciennes et modernes de la vie spirituelle semblent plus se contredire qu'en ce qui concerne l'usage qu'il faut faire des faveurs spirituelles qui nous sont accordées. Les anciens livres nous invitent à les rechercher, à prier pour les obtenir, à les apprécier comme elles le méritent, tandis que les ouvrages modernes nous exhortent à nous en éloigner, à les craindre, à en user avec une précaution mêlée d'effroi quand elles nous sont accordées, et à supplier Dieu de nous conduire plutôt par les voies ordinaires de la foi. Mais cette contradiction n'existe qu'en apparence, et au fond c'est toujours la même tradition qui se manifeste sous des formes diverses, dans des circonstances différentes. Quoi qu'il en soit, je n'aborde ce sujet qu'avec effroi et en tremblant.
Notre premier devoir est de nous former une idée claire et nette de la question. Les faveurs spirituelles appartiennent à ce qu'on appelle la catégorie des choses extraordinaires: néanmoins elles peuvent se diviser en deux classes. La première embrasse les ravissements, les extases, les visions, les colloques, les attouchements, les plaies, les stigmates et les transformations, toutes choses qui appartiennent aux saints. La seconde ne comprend que deux choses: les douceurs et les consolations spirituelles, qui sont fréquemment, souvent même chaque jour, le partage de la classe moyenne des chrétiens, c'est-à-dire de ceux qui, non contents de se conformer aux préceptes de rigueur, s'empressent encore d'obéir aux conseils, sans toutefois pénétrer dans le monde mystique et sublime des saints. Pour ce qui est de la première classe, je ne m'en occuperai pas; je n'y ferai même pas allusion. Il peut être vrai, ainsi que l'affirment quelques théologiens, que l'état d'extase soit l'état naturel de l'homme, celui dans lequel Adam a été créé, dans lequel Notre-Seigneur a vécu, et que la sainteté mystique, surnaturelle, revienne plus ou moins imparfaitement à cet état. Mais rien de tout cela ne saurait s appliquer à la classe d'âmes aux intérêts desquelles j'ai consacré ce Traité. J'écris, qu'on me permette de le répéter, pour les personnes qui vivent dans le monde, et qui cependant aspirent à la perfection et à un amour désintéressé pour Dieu. Si le lecteur n'a pas constamment ce souvenir présent à la mémoire, il sera exposé à se méprendre sur la portée d'une foule de choses que j'ai dites. S il est quelqu'un d assez hardi pour oser affirmer que toute espèce de perfection soit impossible aux séculiers, ce livre, depuis le commencement jusqu'à la fin, lui paraîtra l'effet d'une hallucination. Je n'entrerai pas en discussion avec lui, et je ne m'arrêterai pas à démontrer une vérité en faveur de laquelle je puis faire valoir toute la tradition ascétique des écrivains spirituels, et les faits indubitables qu'on retrouve dans une foule de procès de canonisation. Une pareille controverse serait à la fois inutile et désespérée. Quant à ceux que cette doctrine insensée pourrait inquiéter et même empêcher d'entretenir pour Dieu un amour généreux, je vais, pour les rassurer, citer une anecdote sur sainte Catherine de Gênes; elle est tirée des Bollandistes. A l'époque où elle se passa, la Sainte vivait avec son époux dans un de ces palais de marbre qui ont rendu Gênes si célèbre. Un jour, le frère Dominique de Ponzo, de l'Ordre de Saint-François, entendant Catherine parler avec enthousiasme de l'amour divin, soit qu'il voulût l'éprouver, soit qu'il désirât lui faire embrasser l'état religieux, lui dit que, dans le monde et retenu par le lien du mariage, le coeur n'était pas libre d aimer Dieu, et ne pouvait pas l'aimer d'un amour aussi pur que dans la vie du cloître. Tant que le frère se contenta de faire voir la supériorité incontestable de l'état religieux sur l'état séculier, Catherine ne donna que des signes d'assentiment; mais lorsqu'il vint à fixer des limites à l'amour qu'une personne du monde peut avoir pour Dieu, elle se leva de son siège, le visage en feu et les yeux étincelants: « Si je croyais, dit-elle, que l'habit que vous portez, et qu'il n'est pas en mon pouvoir de revêtir, pût ajouter la moindre parcelle à mon amour, je l'arracherais de dessus vos épaules et je le mettrais en lambeaux. Que votre renoncement à tout et votre état religieux vous permettent d'acquérir des mérites bien supérieurs aux miens, cela peut être vrai, j'y souscris et je vous félicite de votre bonheur; mais quant à me persuader que je ne puis aimer Dieu aussi parfaitement que vous, jamais! Non, mon amour ne rencontre rien qui puisse l'arrêter; et s'il trouvait un obstacle, il cesserait d'être un pur amour. » Puis, s'adressant à Dieu, elle s'écria: « O mon amour! qui pourrait donc m'empêcher de vous aimer autant que je le veux ! Je n'ai pas besoin pour cela de la profession religieuse. Serais-je au milieu d'un camp, parmi les soldats, je ne vois pas ce qui pourrait s'opposer à mon amour !» Alors elle s'élança hors de l'appartement, laissant la compagnie dans l'étonnement où l'avait jetée tant de chaleur et d'énergie; puis, s'étant retirée dans sa chambre, elle donna un libre cours à la violence de son amour, et s'écria: « O amour! qui pourrait m'empêcher de vous aimer ? Si le monde, le mariage ou toute autre chose pouvait s'opposer à mon amour, avec quel mépris je la regarderais ! Mais je sais que l'amour triomphe de tous les obstacles !» Dieu daigna récompenser ce transport en parlant intérieurement à son âme pour l'assurer que nul état n'est un obstacle à la perfection de l'amour, et effacer ainsi de son esprit la funeste impression que pouvait y avoir laissée la téméraire doctrine du frère Dominique.

 

Je me bornerai donc aux dons de la seconde catégorie ; et, toutes les fois que je parlerai de faveurs spirituelles, ce ne sera que pour désigner l'une ou l'autre de ces deux choses, la douceur ou les consolations spirituelles, qui, bien qu'appartenant à la classe des dons extraordinaires et gratuits, n'en sont pas exclusivement pour cela le partage ordinaire des âmes parfaites, mais encore de tous ceux qui s'efforcent dans une mesure moins large d'arriver à la perfection. Il semble que nous les méritions en ne gardant aucune réserve avec Dieu, et qu'elles soient comme les conséquences spirituelles de notre générosité, bien que, pour diverses raisons, elles nous soient souvent retirées pour un espace de temps plus ou moins long.

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La douceur et les consolations spirituelles sont à proprement parler deux choses différentes, bien que par suite de leur soumission aux mêmes lois, tout en présentant des phénomènes divers, elles soient souvent jointes ensemble dans le discours. Alvarez de Paz nous exhorte à fixer cette distinction dans notre mémoire. La douceur spirituelle est une grâce de Dieu qui produit la sérénité et la tranquillité dans l'âme, peu importe au milieu de quelle tempête de passions et de tentations elle y est entrée. Voyons-nous se dresser devant nous une difficulté en présence de laquelle notre faiblesse recule, la douceur vient aussitôt la faire disparaître; car c'est elle qui aplanit les collines et qui comble les vallées, de sorte que nous pouvons, semblables à un convoi de chemin de fer, rouler sur une surface unie. Nous nous trouvons face à face avec un devoir pour lequel notre caractère naturel éprouve une répugnance insurmontable; mais la douceur vient à notre aide, et la répugnance s'évanouit. Elle adoucit l'âpreté de l'âme, et la rend traitable lorsqu'elle est indocile. Elle dure plus longtemps que la consolation. Elle demeure en dehors de la prière, lors même qu'elle vient avec elle, et nous rend affables envers les autres, tandis que la consolation laisse encore en nous une tendance à l'irritation. D'un autre côté, la consolation est aussi douce que le miel au palais de l'esprit. Le sentiment qu'elle cause est plutôt une sorte de plaisir, de transport, que la paix, la tranquillité. Elle attire l'âme à elle, et l'inonde alors de sensations spirituelles d'une exquise délicatesse. Elle dure moins longtemps que la douceur, mais elle est plus efficace: elle fait davantage en moins de temps. Elle est l'apanage spécial de la prière; mais elle ne vient pas à nous, généralement, avant que nous ne soyons complètement détachés du monde: ainsi dans le désert, la manne ne tomba point du ciel jusqu'à ce que le froment d'Egypte ne fût entièrement consumé. D'où l'on voit que la douceur se rapproche davantage de la tendresse dans la dévotion, quoiqu'il existe une distinction marquée entre ces deux choses; tandis que la consolation touche de plus près à ces dons sublimes dont j'ai dit que ne parlerais pas. L'une et l'autre procèdent de Dieu; mais la douceur agit d'une manière plus appropriée à la faiblesse humaine, et exige moins de perfection que la consolation. Ayant ainsi fait la distinction entre ces deux dons, je les désignerai désormais sous le titre commun de faveurs spirituelles; parce que, je le répète, tout en donnant naissance à des
phénomènes différents, elles sont soumises aux mêmes lois; le dessein que je me propose n'en demande pas davantage.
Faisons maintenant quelques observations : 1° Sur l'office de ces faveurs spirituelles; 2° sur leurs fruits ; 3° sur leur nécessité démontrée par les effets; 4° sur leurs signes ;5° sur les délais que le ciel met à nous les envoyer, le refus qu'il nous en fait ou la privation momentanée qu'il nous en impose; 6° sur la manière de les obtenir; 7° sur l'usage qu'il en faut faire; 8° sur la contradiction apparente qui existe entre les livres anciens et les livres modernes sur ce point. Cette division me jettera peut-être de temps en temps dans des répétitions forcées; mais je devais la faire dans l'intérêt de la clarté.

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1°) Parlons d'abord de l'office des faveurs spirituelles.
Saint Bonaventure le résume dans les cinq choses suivantes: ces faveurs remplissent notre mémoire de saintes pensées, nous donnent une merveilleuse intelligence de Dieu, réussissent à nous inspirer une heureuse conformité à sa volonté, nous obligent à garder une contenance respectueuse et à un extérieur convenable, et enfin nous portent à trouver de la joie dans des travaux pénibles, et même jusque dans les souffrances dès que nous les endurons pour Dieu. Voici une autre manière d'envisager le même sujet. Si nous venons à considérer la nature de la dévotion et notre propre nature, nous découvrirons qu'il existe en nous trois obstacles à la dévotion: la faiblesse de la chair, qui fit que les disciples s'endormirent dans le jardin de Gethsémani; la sensualité, cette loi que saint Paul ressentait dans ses membres et qui se révoltait contre la loi de Jésus-Christ; enfin les soins ordinaires de la vie, qu'il ne pouvait bannir au milieu de la sollicitude bien autrement grave que lui causaient les Églises: Or, les douceurs et les consolations spirituelles, combinées ensemble, écartent ces obstacles; et Dieu daignera nous les envoyer, tantôt sans aucune coopération de notre part, tantôt pour récompenser nos efforts dans le passé ou notre ferveur présente.

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2°) Les fruits de ces faveurs spirituelles ne tardent pas à se manifester à l'âme. La mémoire, toujours si inquiète, si bruyante, si peuplée, toujours semblable à une cité remuante et séditieuse, la mémoire rentre dans le devoir et dans le repos, s'occupe de ses souvenirs, et observe les fêtes de la sainte Eglise avec une obéissance mêlée de joie. Toutes les pensées qui ont rapport aux choses célestes font preuve d'une abondance, d'une exubérance qui jadis leur était étrangère. La méditation coule de source. Les vertus n'enfantent plus leurs actions avec effort et peine, et les fruits
qu'elles mettent au jour sont resplendissants de beauté et remplis d'héroïsme. Il y a comme des provinces de tentations où règne sans cesse le mécontentement et où gronde sourdement l'esprit de révolte. Mais nous pouvons maintenant déployer contre elles une force nouvelle et qui va toujours croissant. L'aisance avec laquelle nous triomphons des difficultés va presque jusqu'à changer le caractère de la vie spirituelle; et il en résulte une union entre le corps et l'esprit, qui est une révolution au moins aussi grande que le rétablissement soudain de la concorde et de la paix, dans une famille où régnait la division. Ces bienfaits sont les changements qu'accomplit la droite du Très-Haut. Dieu daigne même souvent les accorder à ceux qui commencent la vie spirituelle non pas comme on donne des bonbons aux enfants, ainsi que l'ont si étrangement pensé quelques écrivains, mais pour produire une véritable action dans leurs âmes, et pour les aider à se frayer un chemin à travers les difficultés surnaturelles inhérentes à leur état. Les personnes plus avancées devraient sans cesse soupirer après ces faveurs spirituelles, car elles sont la rosée qui féconde la prière. Quant à ceux qui ont atteint la perfection, ils ne sauraient s'en passer car elles ne peuvent cesser d'augmenter leurs vertus et d'en rendre l'exercice agréable. Qu'est-ce que la souffrance même au lit de mort, sinon un exercice de vertu, exercice tellement grand qu'il peut nous mériter en une seule heure un avancement qui aurait exigé dix années ordinaires ? Que dis-je ? Nous en avons besoin jusque dans nos moments de désolation; car c'est un axiome de la théologie mystique que Dieu envoie la tristesse et la consolation en même temps et par la même voie.
C'est donc avec raison qu'Alvarez de Paz s'écrie: « Ils se trompent ceux qui ne professent pas une grande estime pour cette douceur spirituelle, qui ne soupirent pas après elle dans la prière et qui ne s'attristent pas, si elle leur est retirée. Ils montrent par là que l'expérience ne leur en a jamais appris l'immense utilité; car s'ils l'avaient jamais goûtée, s'ils avaient pu voir comment, par son impulsion, ils marchaient moins qu'ils ne couraient, que dis-je ? qu'ils ne volaient à la perfection, ils auraient estimé un bien précieux qui aurait si fort augmenté et si divinement épuré leur vertu. Quand cette douceur prend possession du coeur même d'une personne qui entre dans la vie spirituelle, ou d'un homme imparfait, elle en tire des actes qui sont parfaits sous tous les rapports (omnibus numeris absolutas). Si au contraire elle se retire d'un homme qui est avancé dans la vertu et déjà parfait, il ne saurait accomplir ses actions ordinaires sans donner suite à une multitude d'imperfections tant que dure cette privation momentanée. Ce n'est pas le signe d'un coeur mou et efféminé, ou d'un esprit trop délicat, de soupirer après cette douceur; mais c'est le fait d'un homme sage et fort qui, reconnaissant la faiblesse de sa nature, désire posséder ce qui le mettra en état de s'élancer vers Dieu avec une plus grande agilité, un vol plus rapide, et à faire des oeuvres plus héroïques et en plus grand nombre. Celui qui pense autrement ne se connaît pas lui-même et n'a ni un désir ardent de la perfection, ni l'intelligence du vrai et solide trésor qu'on possède avec cette douceur.»
Une des raisons qui ont engagé quelques écrivains spirituels à parler des consolations avec une sorte de découragement, c'est la facilité avec laquelle elles nous jettent dans l'illusion. C'est là, sans doute, l'expression d'une vérité incontestable de la théologie ascétique. Toutefois j'oserai dire que l'exagération, ce rongeur des livres spirituels, dans laquelle tant d'écrivains sont tombés, a fait infiniment plus de mal aux âmes des lecteurs par les soupçons mal fondés qu elle y a fait naître, que n'aurait pu en faire une de ces illusions qui viennent de Satan. Que dis-je ? Cette prudence diabolique, pour me servir d'une expression familière aux auteurs ascétiques, est elle-même une illusion que nous envoie notre ennemi, un de ses stratagèmes les plus funestes et qui malheureusement réussissent le plus souvent: et ce sont les livres spirituels qu'il choisit de préférence pour y tendre ses embuscades. Prenons un cas de la pire espèce, le cas d'une personne dont les consolations ont véritablement été des illusions, et apprenons, par l'exemple et la doctrine des saints, à acquérir leur céleste sagacité et leur intelligente modération. Nous pouvons choisir par exemple sainte Catherine de Bologne, dont les consolations pendant cinq ans furent presque constamment des illusions: ainsi, combien de fois se crut-elle favorisée d'une vision de Notre-Seigneur quand ce n'était qu'une fiction de Satan ! Cependant, grâce à son humilité et à son obéissance, tout tourna à son avantage et à son avancement dans la sainteté: ainsi qu'elle le rapporte elle-même, elle tira un grand profit de ses déceptions.
Mais l'exemple qu'un saint nous offre dans sa personne produit moins d'impression sur nous que l'enseignement qu'il adresse à des âmes plus semblables à nous. Ecoutons donc la voix de la grande prophétesse du Carmel, prêtons l'oreille à sainte Thérèse expliquant ces paroles de l'Oraison Dominicale, ne nous laissez pas succomber à la tentation. Elle dit que ceux qui arrivent à la perfection ne prient pas pour être délivrés de ces tentations qui consistent dans les souffrances et dans les combats. Au contraire, ils désirent les épreuves de ce genre, ils s'en réjouissent et prient pour les obtenir, de même que les soldats font des voeux pour la guerre parce qu'ils savent tout le profit qu'ils en retireront. « Ils ne redoutent guère les ennemis qui les attaquent en face. Ce qu'ils craignent, ce qu'ils doivent craindre continuellement, et ce dont ils doivent prier Notre-Seigneur de les délivrer, ce sont les traîtres, certains démons qui se transforment en anges de lumières, et les attaquent sous un déguisement emprunté. On ne parvient à les découvrir que lorsqu'ils ont déjà exercé de grands ravages dans l'âme: ils continuent à sucer notre sang, à détruire en nous le germe des vertus, et nous demeurons au milieu de la tentation, sans le savoir. Voilà les maux dont nous devons prier le Seigneur de nous délivrer. » Après avoir ainsi fait ressortir distinctement tout le mal que peuvent nous causer ces démons transfigurés, la sainte poursuit en ces termes, et ce qu'elle dit mérite la plus grande attention: « Remarquez que ces démons peuvent nous nuire de mille manières différentes, et n'allez pas croire que ce soit seulement en nous persuadant que les fausses consolations et les fausses joies qu'elles produisent en nous viennent de Dieu. C'est là, à mes yeux, la moindre partie du mal qu'ils peuvent nous faire; bien plus il n'est pas impossible qu'ils hâtent ainsi les progrès de notre âme; en effet, grâce à l'appât de ces consolations, elle persévère plus longtemps dans la prière, ignorant qu'elles viennent du démon, et sachant qu'elle est indigne par elle-même de ressentir de pareilles joies, elle ne cessera point de rendre grâce à Dieu ; elle se sentira plus liée que jamais à son service, et elle fera de nouveaux efforts afin de se disposer à recevoir de plus grandes faveurs de Notre-Seigneur, car elle croit que celles qu'elle reçoit émanent de lui. Suivez toujours le sentier de l'humilité. Rappelez-vous que vous êtes indignes de ces faveurs, et ne vous efforcez pas de les obtenir. Si l'on agissait ainsi, le démon se verrait ravir une foule d'âmes qu'il espère ruiner, et le Seigneur ferait sortir le bien du mal que Satan s'efforce de nous faire. En effet, Dieu ne regarde que notre intention qui est de lui plaire et de le servir, lorsque nous sommes avec lui dans la prière; et le Seigneur est fidèle. Il est bon de marcher avec précaution, afin que la vaine gloire ne se glisse pas dans notre humilité, et de supplier Notre-Seigneur de nous délivrer de ce péril. Ne craignez pas, mes filles, que la divine majesté permette que vous receviez beaucoup de consolations d'une autre main que la sienne »
Le même esprit animait encore sainte Thérèse lorsqu'elle disait que c'est une fausse humilité que de rejeter, par crainte de la vaine gloire, les consolations et les dons surnaturels qu'il plaît à Dieu de répandre les âmes fidèles pendant la prière. En effet, si nous sommes bien convaincus que ce sont des dons et que nous ne les méritons en aucune façon, ils ne serviront qu'à exciter en nous un amour plus vif du Donateur. « Il me semble, ajoute-t-elle, qu'avec une nature constituée comme la nôtre, il est impossible à qui que ce soit d'avoir le courage de tenter de grandes choses, s'il ne s'aperçoit que Dieu favorise ses desseins. En effet, telle est notre misère et notre inclination vers la terre, que nous ne serons jamais capables de haïr sincèrement les choses d'ici-bas et de nous en détacher sérieusement, jusqu'à ce que nous ayons reçu quelque gage d'en haut: car c'est moyen de ces dons que le Seigneur nous rend la force que le péché nous a fait perdre. Il serait pénible pour nous de désirer d'être repoussés et abhorrés de tous, d'aspirer à toutes les autres vertus que possèdent les gens parfaits, si nous n'avons un gage de l'amour que Dieu nous porte, et avec ce gage une foi vive. Car en vertu des dispositions de notre nature nous sommes toujours prêts à suivre ce que nous voyons devant nous; c'est pourquoi ces mêmes faveurs sont les moyens dont Dieu se sert pour réveiller et affermir notre foi. Peut-être, après tout, est-ce moi, vile créature, qui juge les autres d'après moi-même; et il existe sans doute des personnes qui n'ont besoin que de la vérité de la foi pour accomplir des oeuvres de la plus grande perfection, tandis que moi je suis si misérable que j'ai besoin de tous les secours possibles. »
Sans doute, il ne faut pas nous jeter dans l'extrême contraire, et aller à l'encontre de la modération des saints, en ce qui concerne ces douceurs et ces consolations. Saint Jean de la Croix dit que la meilleure route pour arriver au sommet, et, en définitive, la seule qui mène au point le plus élevé de son Carmel, est droite et resserrée; c'est la voie où la foi pure et simple tient lieu de consolations sensibles. D'un autre côté, il nous indique une autre route tortueuse mais montante, sur laquelle il écrit les mots: Science, Conseil, Douceur, Sécurité, Gloire; et il lui donne le nom de Voie de l'Esprit Imparfait, avec ces deux devises: « Parce que je me suis donné de la peine pour me procurer ces consolations, j'en ai reçu moins que je n'en aurais eu, si j'avais suivi le droit sentier. J'ai avancé plus lentement, et je me suis élevé moins haut; parce que je n'ai pas marché dans la voie droite. » Quelle autre conclusion peut-on tirer de cette doctrine, sinon que la plus haute perfection réside dans le renoncement à ces dons, mais qu'il existe encore une autre perfection qui les recherche, et que celle-ci peut aussi gravir les cimes du Carmel? Quel bonheur pour la plupart d'entre nous si nous pouvions arriver à la perfection, fût-ce même par la voie la moins parfaite ! Mais le passage suivant de Sainte Thérèse nous mettra sous les yeux les deux côtés de la question à la fois, avec une clarté qui rend tout commentaire inutile. « Il est digne de remarque, et je le dis parce que j'en ai fait l'expérience, que l'âme qui s'engage résolûment dans cette voie de la prière mentale et qui peut arriver à une sorte d'indifférence à l'égard de ces consolations et de ces tendresses, c'est-à-dire à ne pas trop se réjouir ou se laisser abattre selon que Notre-Seigneur les lui accorde ou les lui retire; cette âme, dis-je, a déjà accompli la plus grande partie de son voyage. Ne craignez pas qu'elle retourne en arrière, lors même qu'elle ferait une multitude de faux pas, parce que son édifice est assis sur des bases solides. En effet, l'amour de Dieu ne consiste pas à répandre des larmes ou à posséder ces joies et ces tendresses que nous ne désirons la plupart du temps qu'à cause des consolations que nous en recevons, mais à servir le Seigneur avec justice, avec une grande force d'âme et une profonde humilité. Agir autrement me semble agir comme si nous voulions recevoir sans rien donner nous-mêmes. A de pauvres femmes comme moi, faibles et sans force, il me paraît convenir d'être conduites ainsi que Dieu me conduit maintenant par la voie des consolations; afin que je puisse supporter certaines épreuves auxquelles il a plu à la Majesté divine de me soumettre; mais quant aux serviteurs de Dieu, hommes de poids, de science et d'intelligence, je ne puis, lorsque je les vois dans la peine parce que le Seigneur ne leur accorde pas la dévotion, me défendre d'un sentiment de dégoût. Je ne dis pas qu'ils ne doivent point l'accepter si Dieu la leur donne, et l'apprécier comme elle mérite de l'être, puisque, dans ce cas, la divine Majesté juge que c'est là ce qui leur convient; mais lorsqu'ils en sont privés, il ne faut pas qu'ils s'en affligent; ils devraient alors comprendre que ce secours ne leur est point nécessaire, puisque la divine Majesté le leur refuse, et rester maîtres d'eux-mêmes. Qu'ils soient bien convaincus que c'est une faute; je l'ai éprouvé et je l'ai vu. Qu'ils soient convaincus que c'est une imperfection, qu'ils ne possèdent pas la liberté d'esprit, et qu'ils se trouveront au-dessous de tout ce qu'ils entreprendront, en cela je ne m'adresse point principalement aux
commençants, bien que j'insiste beaucoup sur ce point, parce qu'il est de la plus grande importance pour eux d'entrer dans la carrière avec cette liberté et cette résolution; mais je m'adresserai surtout à ceux et le nombre en est grand qui ont commencé et n'ont jamais pu finir: la raison en est, je crois, qu'ils n'ont pas embrassé la croix dès le principe. Ils sont sans cesse dans l'affliction, parce qu'il leur semble qu'ils ne font rien; et lorsque leur intelligence cesse d'agir, ils ne peuvent supporter cette épreuve: et pourtant, c'est peut-être en ce moment même que leur volonté se développe et acquiert des forces, quoiqu'ils ne s'en aperçoivent pas . »
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3°) Enhardi par la doctrine d'Alvarez de Paz, je poursuivrai en disant que jusqu'à un certain point ces faveurs spirituelles sont nécessaires, et que cette nécessité ressort de leurs effets. Que pouvons-nous sans la ferveur qu'elles ont surtout la mission de reproduire ? Les affections tendres et multipliées ne sont-elles pas quelque chose de plus qu'un simple secours pour la prière ? Ne mesurons-nous pas notre croissance dans la sainteté sur la facilité que nous trouvons dans la pratique des vertus ? Continuerons-nous avec persévérance à nous mortifier, si nous ne pouvons arriver à aimer les mortifications ? Nous avons besoin souvent de voir les vérités de la foi sous un autre jour que celui de leur propre lumière. Ne fût-ce même que pour conserver le respect, les mystères devraient souvent être obligés par une certaine pression d'exhaler quelque peu des parfums qu'ils contiennent. La mondanité est une plante dont les branches et les racines s'étendent à l'infini et douée d'une vitalité extraordinaire; quelquefois elle éclate et se propage dans une âme avec la rapidité d'un incendie. Rien ne saurait arrêter, si ce n'est une grande abondance de douceur spirituelle. Un homme ivre ose ce que n'oserait point le personne qui ne serait pas dans le même état, et de l'endroit où il a sauté il s'élance pour affronter des . difficultés plus grandes encore. Ainsi, dans la vie spirituelle, nous avons à prendre dans l'obscurité de la i plus d'un élan que nous ne prendrions jamais si nous n'étions enivrés de l'amour divin et du vin des consolations spirituelles. La discrétion est indispensable à la vie spirituelle; mais ce qu'elle a de plus délicat et de plus exquis est inséparable de la sérénité que répand la douceur spirituelle. C'est pourquoi saint Ignace nous exhorte à ne jamais prendre une décision dans nos moments de sécheresse et de désolation.
Examinez maintenant ces neuf différents besoins. Ne sont-ce pas des nécessités absolues pour un homme pieux ? Et qui est-ce qui peut les satisfaire sinon les neuf effets des faveurs spirituelles.
Vous pouvez encore, si vous le jugez à propos, envisager la chose au point de vue de L. Dupont. Il dit que lorsque nous nous donnons à Dieu, et que nous aspirons à la perfection, nous sommes sous l'empire de deux nécessités. Remarquez qu'il se sert du terme nécessités. La première est la persévérance dans la prière, et la seconde, la persévérance dans la mortification; puis il ajoute que c'est en vain que nous espérerions persévérer dans l'une ou dans l'autre sans le secours des faveurs spirituelles. Selon la doctrine du P. Dupont, Dieu lui-même se charge de nous rappeler ces nécessités, par les différentes époques qu'il choisit pour nous visiter et qui sont: le temps de la prière, le temps de la mortification, le temps de la douleur, le temps de la sécheresse, et le temps de la distraction. Écoutez du reste l'avis de deux illustres Pères de l'Église. Saint Grégoire dit: « J'irai à la montagne de la myrrhe et à la colline de l'encens. » qu est-ce que la montagne de la myrrhe, sinon la mortification solide et élevée? et qu'est ce encore que la colline de l'encens, sinon la profonde humilité et la prière ? C'est alors que l'époux vient vers cette montagne ou cette colline, et qu'il visite familièrement ceux qu'il voit s'efforcer de les gravir par la mortification de leurs vices ou de leurs distractions, et de s'imprégner du doux parfum d'une prière humble et pure. Et quel est le résultat de cette visite, sinon que je juste, semblable à un arbre de myrrhe ou d'encens planté sur cette montagne ou sur cette colline, distille sa précieuse liqueur avec une abondance et une excellence d'autant plus grandes, qu'il porte à un plus haut degré de ferveur les affections de la mortification et de la prière ? Tels étaient les sentiments de l âme elle- même lorsqu'elle s'écriait: « Accours, vent du Midi; souffle dans mon jardin, qu'il exhale tous ses parfums. » Et quels sont ces parfums, sinon la rosée embaumée des larmes qui coulent de nos yeux? - C'est ainsi que l'âme voulait signifier que la visite de l'Esprit Saint, représentée par le souffle chaud et humide du vent du Midi, était nécessaire (necessaria) pour attendrir le coeur afin qu'il produisît en abondance les tendres affections de la dévotion; les yeux, afin qu'il en coulât de douces larmes, et les mains, afin qu'elles fussent fécondes en bonnes oeuvres. En effet, cette visite n'est autre chose que la myrrhe la plus pure qui découle des mains de l'épouse.
Saint Bernard, ce saint dans lequel l'antiquité revêt si soudainement une forme moderne, décrit ainsi la déplorable situation dans laquelle se trouve le coeur auquel ces faveurs spirituelles ont été retirées: « De là vient la stérilité de mon âme et l'absence de dévotion que je ressens. C'est pourquoi mon coeur s'est desséché, et mon âme est devenue semblable à une terre sans eau. Mes yeux sont secs. Je ne prends plus goût à la récitation des psaumes; je ne trouve
plus de plaisir dans la lecture des bons livres. La prière ne me récrée plus. La porte de mon âme est fermée à la méditation. Je suis paresseux à l'oeuvre; je m'endors quand je devrais veiller, je m'abandonne à la colère, je persévère dans mes antipathies, je ne sais plus gouverner ma langue ni maîtriser mes appétits. Hélas !malheureux que je suis! Le Seigneur visite les montagnes qui m'environnent, mais il ne s'approche jamais de moi. Suis-je donc une de ces collines par-dessus lesquelles l'Époux passe sans les toucher? En effet, je vois ici un homme qui a reçu le don d'abstinence, et là un autre doué d'une patience admirable. Celui-ci a des extases durant sa contemplation; celui là pénètre dans les cieux par l'importunité de ses intercessions. D'autres excellent par des vertus diverses, comme des montagnes que le Seigneur visite, et sur lesquelles l'Époux des âmes bondit et se réjouit. Mais moi, misérable que je suis, je ne ressens aucune de ces choses, que suis-je ? sinon une de ces montagnes de Gelboë dont le Seigneur détourne sa face, pour me punir de mes péchés, tandis qu'il en a visité d'autres dans sa miséricorde. C'est pourquoi, ô mon âme! tremble lorsque Dieu cessera de te visiter. Quand cette grâce te fera défaut, tu tomberas, et le peu de bien qu'il peut y avoir en toi tombera avec toi. » Il semble donc ressortir de la doctrine des saints que les faveurs spirituelles (je parle des consolations et des douceurs) ne sont ni des ornements ni des couronnes, mais constituent une des forces vitales essentielles à la vie spirituelle.
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4°) Nous avons maintenant à considérer les signes de ces faveurs spirituelles. Les uns sont les avant-coureurs de la venue prochaine de Dieu, et les autres sont les gages de sa présence actuelle dans l'âme: il importe de connaître à fond ces deux classes de symptômes. Les signes précurseurs de la venue de Dieu sont au nombre de cinq. Quelquefois, sans aucune cause dont nous puissions nous rendre compte, notre âme sent s'éveiller en elle un instinct qui lui dit que Dieu est proche, et qui l'invite à se tenir prête à le recevoir. Cette sorte de révélation, bien qu'inattendue, ne nous cause aucun trouble intérieur, et elle ne nous jette pas non plus dans la confusion, quoique son premier effet soit de nous inspirer un surcroît de crainte et de respect. D'autres fois, sans aucun changement apparent dans nos dispositions intérieures ou dans nos occupations extérieures, nous entendons au dedans de nous une voix qui nous avertit de nous sanctifier, de faire des actes de contrition, d'aller nous confesser, ou de porter subitement notre attention sur quelque péché véniel en particulier. Nous sentons et nous agissons comme si nous étions à la veille d'une grande fête; ou bien nous sommes comme plongés dans une paix délicieuse. Cette paix peut être venue soudainement, comme le silence se rétablit dans une classe lorsque les écoliers entendent les pas du maître, ou bien elle grandit peu à peu jusqu'à ce qu'elle soit devenue sensible. Ou bien encore, de même que des appétits inconnus se révèlent à nous à un moment donné, nous éprouvons tout d'un coup des besoins que nous ne connaissions pas, une soif ardente de la justice et de la sainteté; il semble qu'il existe en nous des vides que nous brûlions de combler. Ou enfin nous nous sentons possédés d'un désir plein d'ardeur et l'humilité, mais aussi d'efficacité, de devenir plus purs afin de faire descendre Dieu vers nous; car nous savons que les âmes pures sont les aimants qui attirent le Seigneur. Ce dernier signe est considéré, dans la plupart des cas, comme le précurseur immédiat de Notre-Seigneur. Quand ce signe a paru, Jésus ne tarde pas à le suivre, ainsi qu'il descendit dans Marie aussitôt que l'admirable Fiat fut sorti de sa bouche virginale. Il vient pour exhorter, pour enseigner, pour consoler, pour reprendre; mais il le fait avec tant d'amour, qu'un reproche divin est plus doux que toutes les consolations de la terre.
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Il y a également cinq signes auxquels on reconnaît que Dieu est actuellement présent dans notre âme, lorsqu'il vient y répandre ses faveurs spirituelles. Le premier est un élargissement soudain de l'esprit; comme si un mur eût été jeté à bas, et que notre vue s'étendît au loin sur une campagne immense, luxuriante et toute resplendissante des feux du soleil. Le second signe consiste dans des torrents de pensées et d'affections qui se précipitent à la fois; on dirait que les réservoirs du ciel se sont ouverts, et que les fontaines de l'abîme débordent comme jadis au temps du déluge. Le troisième signe est une perception claire et nette des choses du Ciel : il semble que nous voyions la cour céleste dans sa divine ordonnance, que nous soyons témoins des occupations des bienheureux, et que nous participions pour un moment aux sentiments qu'ils entretiennent à l'égard de la terre et des choses de la terre. Le quatrième signe consiste dans le sentiment que la dévotion est pour nous un aliment substantiel, tant elle nous semble solide, tant elle répand de vigueur et de force dans chacune des facultés de notre âme, et peut-être même jusque dans les membres fatigués de notre corps. Le cinquième signe est un mépris pour le monde auquel se mêle un certain dégoût, et qui nous fait détourner le coeur et les yeux de ses manifestations et de ses richesses. Nous éprouvons un sentiment analogue à celui que produiraient sur nous la nouvelle de la trahison et la bassesse d'un ami. Dès ce moment tout attachement nouveau semble devenu impossible. Chacun de ces signes doit être pour nous un gage que Dieu est venu nous visiter.
Il est bon aussi d'observer que Dieu se communique à nous de deux manières différentes. Quelquefois il pénètre dans la partie supérieure de notre âme, et de là, comme une rosée salutaire, sa douceur s'insinue peu à peu dans tout notre être et jusque dans les membres de notre corps. D'autres fois il arrive dans les parties inférieures de notre âme, et monte comme l'eau dans les tuyaux d'une fontaine de cristal, d'où elle retombe en bouillonnant jusqu'à ce que nous en soyons inondés. La première méthode semble nous concentrer en lui; la seconde, nous volatiliser par l'amour et les oeuvres de charité envers les autres. Celle-ci est plutôt la méthode de la douceur, celle-là, la méthode de la consolation; mais Dieu vient comme il lui plaît, et ne veut pas être lié par des systèmes.

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5°) Nous allons maintenant rechercher, toujours en suivant les traces des anciens maîtres de la vie spirituelle, quelles raisons nous pouvons respectueusement assigner au refus que Dieu nous fait de ces faveurs, aux délais qu'il apporte à nous les accorder, enfin aux privations momentanées qu'il nous en impose. Saint Grégoire dit que c'est de peur que nous nous imaginions que ces dons viennent de notre propre nature, qu'ils sont notre héritage ou qu'ils nous sont dus à titre de justice. Nous ne saurions rester à l'égard de Dieu dans une dépendance trop complète, et la privation momentanée des faveurs divines contribue admirablement à produire ce résultat. D'autres fois Dieu agit ainsi pour nous faire mieux sentir Je prix de ses faveurs, afin que nous les désirions plus spirituelle- ment et que nous soupirions après son retour avec plus de ferveur, nous traitant, dit saint Jean Climaque, comme une mère traite l'enfant qu'elle allaite. Ou bien Dieu nous donne ainsi une occasion de nous humilier; en effet, nous pouvons attribuer son absence soit à nos péchés, soit à notre ingratitude, soit à notre négligence, soit à notre manque d'humilité, soit sur- tout à la façon peu respectueuse dont nous le recevons quand il vient à nous: ou peut-être veut-il nous garantir de la vanité et d'une trop grande complaisance en nous-mêmes, afin que nous n'allions pas croire que ces faveurs sont des attestations de notre sainteté, au lieu d'être un excès de la miséricorde divine. Quelque- fois c'est la faiblesse de notre constitution physique qui oblige Dieu à nous retirer ses faveurs pendant quelque temps, de peur que notre santé ne succombe par suite d'une trop grande application aux choses divines; ou. que,. pendant le sommeil. et l'appétit, nous ne devenions incapables de remplir les devoirs que nous imposent notre état et notre position sociale. Quelquefois Dieu prévoit que nous nous laisserons séduire par la douceur sensible de ses faveurs, s'il continue à nous les prodiguer; que nous commettrons quelque indiscrétion, quelque excès, de même que les enfants se rendent malades en mangeant trop de sucreries; une réaction s'en suivrait, et une sorte de langueur spirituelle, de profond dégoût et d'oisiveté s'empare- rait de nous. D'autres fois Dieu suspend ses faveurs parce que nous commençons à avoir de la répugnance pour nos travaux extérieurs ou pour le service de notre prochain, et à remplir nos obligations avec négligence, parce que nous affectionnons la douceur et la solitude de ce divin commerce. En effet tant qu'il dure, il empêche l'âme de s'appliquer à quoi que ce soit, et l'occupe tout entière.
Il arrive parfois que Dieu se retire de nous, pour nous donner l'occasion de pratiquer de réelles et solides vertus en mettant à profit ses visites passées. Car es vertus solides ne se trouvent qu'en Dieu seul, et Ion dans ses douceurs ou dans ses consolations. De sorte que si ces faveur" nous étaient continuées, nous lé nous connaîtrions pas comme nous devons le faire, t nous ne pourrions prendre pour de l'activité personnelle ce qui ne serait en effet que l'énergie de la douceur divine. D'un autre côté, Dieu se plaît à nous voir poursuivre notre route sang le secours de ses faveurs sensibles, parce que nous lui rappelons ainsi le souvenir de sa Passion à jamais bénie, et que nous gagnons alors de brillantes couronnes pour nous- mêmes. D'ailleurs, il veut que nous acquérions l'expérience de la vie spirituelle, et que nous passions par une multitude d'épreuves diverses, afin que nous sachions également nous courber sur nos rames dans les heures de calme et déployer nos voiles quand souffle la brise. Quelquefois Dieu désire nous faire faire un pas considérable dans la voie d'une héroïque humilité, ou nous donner l'occasion d'expier ici-bas quelque infidélité, ou enfin anéantir les traces de quelque péché en nous plongeant dans un cruel abandon, semblable à celui de Job lorsqu'il s'écriait: « Vous me prendrez comme une lionne et au retour vous me ferez subir des tourment inouïs. » D'autres fois enfin il remarque en nous ce défaut commun à tant d'hommes : le manque d'estime pour la grâce; et il vient, et s'en va, afin que par la comparaison de nos deux états, avant et après sa venue, nous soyons à même d'apprécier notre propre faiblesse et l'efficacité de la grâce. Je n'entrerai pas dans les mystères plus profonds encore de la sécheresse et de la désolation : car ce sujet n'offrirait rien de pratique à ceux pour qui j écris.
Généralement parlant, l'abondance des faveurs divines dépend de notre avancement dans la vie spirituelle. Gerson, dans sa Montagne de la Contemplation, remarque qu'il y a pour les faveurs spirituelles trois saisons qui ressemblent à trois des saisons de l'année.. L'état de ceux qui entrent dans la carrière de la spiritualité c'est l'hiver lorsque le soleil demeure caché à nos yeux par les nuages et la brume, que le froid est violent, et que la pluie tombe souvent, bien que de temps à autre le ciel soit serein et que des jours riants se lèvent sur nous. Ainsi en est-il pour les commençants : ils marchent dans l'obscurité, ils se heurtent contre ce qui reste de leurs vies passées et de leurs passions encore imparfaitement mortifiées ; toutefois Dieu daigne parfois les visiter et faire rayonner à leurs yeux sa face resplendissante de joie et de bonté Le grand maître de la théologie mystique était donc loin de voir dans la douceur spirituelle un pur appât jeté à ceux qui sont encore dans l'enfance de la sainteté. Les personnes qui ont déjà fait quelques progrès dans la prière vivent dans une sorte de printemps précoce. Elles jouissent d'une plus grande variété. Un jour le ciel est pur et serein, le lendemain le temps est couvert et pluvieux. Cependant le soleil se montre souvent. Ainsi le soleil de justice vient fréquemment visiter les personnes avancées, les caresse, leur donne des gages sensibles de sa présence, et leur laisse de fervents désirs, semblables à un bouquet de fleurs odoriférantes. Néanmoins il se retire d'elles, de sorte qu'elles le voient pendant un peu de temps, et un peu de temps après elles ne le voient plus, afin que cette variété augmente leur désir de le posséder, et les dispose à le conserver plus longtemps lorsqu'il vient les visiter.. Les gens parfaits vivent en été, lorsque les rayons du soleil sont plus ardents et que les nuages viennent plus rarement en obscurcir le disque; toutefois de temps à autre s'élèvent des orages où le tonnerre, la grêle et des pluies torrentielles se mêlent et se confondent, des tempêtes, en un mot, telles que l'hiver n'en voit point. C'est ainsi que les gens parfaits jouissent d'un calme plus stable, plus durable et que Dieu les visite plus souvent. Toutefois il les éprouve à certains intervalles par des combats intérieurs et une désolation plus terrible que les autres, afin de les faire avancer dans la voie de l'humilité. Néanmoins, au milieu de ces tempêtes, il fait tomber sur eux des rayons de lumière épars, de sorte que les nuits leur semblent presque des jours, tant les éclairs divins sont nombreux et rapprochés.
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6°) Nous allons maintenant nous occuper de la manière dont s'obtiennent ces faveurs. Tous les livres spirituels de la vieille école enseignent que nous devons, à l'exemple de la veuve importune de l'Évangile, assiéger Dieu de nos prières afin qu'il nous les accorde. Si nous voulons savoir, dit l'un, comment nous devons désirer les faveurs célestes, regardons comment les anciens patriarches ont désiré la venue du Messie. Ils doivent nous servir de modèles. Comme soupiraient après lui dans la chair, de même nous devons soupirer après lui dans ses faveurs; car c'est liment lui-même que nous cherchons en elles: Sicut tibi patres! Il serait difficile de nous offrir un exemple d'un désir plus ardent. Recevoir ces faveurs avec une profonde humilité et une vive reconnaissance, lorsqu'elles nous sont accordées, est un moyen sûr de les appeler de nouveau dans notre âme, avec un redoublement de grâce et une exubérance de douceur. Quand Notre-Seigneur voit que nous sommes désireux de le retenir, et que nous ne voulons pas le laisser aller, semblables à Jacob qui força l'ange qui luttait contre lui à demeurer jusqu'à l'aurore, il favorise nos pieuses intentions, et, s'il nous quitte, c'est pour revenir bientôt. Si nous nous empressons de convertir la douceur de ses faveurs en vertus solides, en un surcroît de mortifications, un redoublement de prière, et une sainteté pratique, nous pouvons être sûrs que le Seigneur ne tardera pas à revenir et que ses visites seront plus fréquentes. Il y a aussi deux circonstances où il se plaît à nous entendre dire : Fuge, dilecte mi, fuyez, ô mon bien-aimé. La première, c'est lorsque la discrétion nous avertit qu'une exubérance de dévotion devient nuisible à notre santé, ou empiète sur nos travaux, et la seconde, quand l'obéissance et le devoir nous arrachent aux caresses secrètes de son amour. Il faut apprendre, nous dit saint Philippe, à quitter Jésus-Christ pour Jésus-Christ. D'ailleurs, si nous voulons jouir de la plénitude de ses faveurs célestes, nous devons nous mettre en garde contre un désir avide et déréglé de les posséder, ou contre tout sentiment de complaisance quand nous les possédons. Louis de Blois cite l'exemple d'une personne pieuse qui expia par quinze années de sécheresse un moment de vaine complaisance dans les faveurs spirituelles qu'elle avait reçues. Évitons surtout avec le plus grand soin toutes les distractions coupables dans le cours de la prière; car Dieu ne remplit que les âmes vides d'elles-mêmes, dit saint Bernard, citant le miracle d'Élisée et de l'huile: « Quand les vases furent pleins, la veuve dit à son fils: Apporte-moi encore un vase. Il répondit: Je n'en ai plus. Et l'huile cessa de couler. »

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7°) Nous allons maintenant examiner l'usage qu'il convient de faire de ces faveurs spirituelles. Après ce qui a déjà été dit, quelques mots suffiront pour achever ce qui nous reste à dire sur cette partie de notre sujet. Nous avons vu que nous devons les estimer comme elles méritent de l'être, que nous devons prier pour les obtenir, et cependant ne pas nous montrer trop avides de les posséder. Il faut le désirer non pour elles-mêmes, mais pour les effets divins et les fruits de vertu qu'elles produisent en nous. Efforçons-nous de convertir la douceur en un redoublement de sainteté pratique, et la consolation en un surcroît de force, à mesure que ces deux faveurs nous sont accordées. Recevons-les avec une profonde humilité et une ferveur toujours croissante. Il faut qu'elles deviennent comme la moëlle de nos mortifications, et qu'elles se répandent abondamment et sans cesse au dehors dans une bienveillance inaltérable à l'égard des autres, dans un zèle ardent pour le salut des âmes, et dans le service des pauvres. Nous devons, avec une sainte superstition, les tenir cachées, comme nous garderions le secret d'un roi. Car, aussitôt qu'elles sont connues, elles s'évanouissent. Telle est leur nature. Lorsque Dieu voudra que nous révélions quelqu'une de ces faveurs qu'il nous accorde, il nous enverra une lumière telle que nous ne pourrons nous méprendre sur sa volonté, et une impulsion qui ne nous permettra pas de lui résister. Cette circonstance ne se présentera peut-être pas une seule fois dans tout le cours de notre vie. Il faut aussi avoir l'art de les oublier et de nous les rappeler en temps opportun. En cela, nous devons agir selon que la présomption ou le découragement, cette double force de compression toujours en mouvement dans la création spirituelle, s'efforce de briser l'équilibre de notre âme. Enfin, elles doivent nous faire languir d'amour pour Dieu; car, en nous donnant un avant-goût du ciel sur la terre, ne nous font-elles pas voir que ce n'est pas le ciel lui-même qui est si doux, mais le Dieu du ciel ?

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8°) Il nous reste à examiner la contradiction apparente qui existe entre les auteurs anciens et les auteurs modernes au sujet de ces faveurs. Ce que nous avons dit montre qu'il y a dans ces dons un côté dangereux, et qu'on ne saurait apporter trop de prudence et de précaution dans l'usage qu'on en fait. A part quelques exagérations, je ne crois pas qu'on puisse extraire des écrivains des deux écoles des propositions véritablement contradictoires. Le génie des anciens les a conduits à mettre en avant la beauté, l'utilité et même la nécessité de ces faveurs; tandis que l'esprit des modernes les porte à s'appesantir sur les dangers que présente un désir immodéré de posséder ces trésors spirituels, et sur les périls qu'en offre l'usage imprudent. Un écrivain spirituel doit s'adresser aux hommes de son époque. S'il ne le fait pas, il devient insignifiant. Or, il m'est permis de supposer que les auteurs ascétiques modernes trouvent le monde bien plus efféminé qu'il ne l'était aux jours de Gerson, de Richard de Saint- Victor, de Tauler, de Ruysbroke, de Hugues de Saint-Victor, de saint Bonaventure et de Louis de Blois , pour ne rien dire de Saint-Jean Climaque , de saint Nil, de Cassien et de saint Grégoire. Le manque de mortification est de nature à produire un désir immodéré de posséder la douceur spirituelle, et d'en rendre l'usage plus dangereux, La disposition plus marquée de l'esprit humain à suivre les théories subjectives, et peut-être aussi l'affaiblissement du système nerveux de la race actuelle, rendent les illusions plus communes aujourd'hui qu'autrefois, Il se peut encore qu'à mesure que les temps de l'Antechrist approchent, la chaîne de Satan devienne plus longue; ou bien on peut encore dire que les illusions étaient plus faciles à l'époque où se formait l'école moderne; qu'elles ne le sont maintenant que les écrivains de l'ordre des Jésuites ont jeté les lumières de la science sur les points les plus obscurs de la théologie ascétique. D'ailleurs, le grand nombre de nouveaux saints et la publication de leurs vies répandent la connaissance de ces faveurs célestes, et on se figure aisément qu'on est dans un état spirituel analogue à ceux dont on entend parler dans la vie des saints, L'humilité est peut-être moins florissante aujourd'hui dans le monde qu'elle ne l'était autrefois, bien qu'elle n'ait jamais été une vertu favorite, D'un autre côté, les hérésies abondent en fausses douceurs, et il en existe un grand nombre sur les sujets qui ont rapport à la vie ascétique, Le jansénisme n'était pas seulement un système faux au point de vue du dogme,' c'était encore un spiritualisme diabolique, et le quiétisme avait tellement effrayé les hommes, qu'ils n'osaient plus formuler un acte de pur amour, surtout depuis qu'on savait que cette doctrine n'était pas en faveur auprès du Saint-Siège, même après les considérables modifications que Fénelon fit subir à cette hérésie, Je me hasarde à faire ces conjectures pour la défense des écrivains modernes, surtout parce qu'ils sont plus que les autres à la portée de la généralité des lecteurs, et qu'ils offrent plus de sécurité en ce sens qu'ils ont pu profiter d'une foule de définitions de l'Église, avantage dont leurs prédécesseurs étaient privés, Je tiens à faire voir que la tradition spirituelle de l'Église a toujours été la même, quant au fond, à toutes les époques, On me permettra donc peut-être d'ajouter ( ce que je fais, sauf correction) que je ne puis m'empêcher de penser qu'il existe dans les grands écrivains ascétiques français du dix-septième siècle un reflet presque imperceptible de quiétisme, lequel apparaît çà et là dans leurs systèmes, comme un éclair de chaleur dans les soirées d'été. Cette tendance se fait sentir surtout lorsqu'ils parlent du renoncement à soi-même, de la distinction entre Dieu et ses faveurs, du bienfait de l'aridité, de ce qu'ils appellent la nudité de la foi et autres sujets analogues. Non pas qu'il n'y ait une sainte vérité au fond de toutes ces choses; mais je ne puis me défendre du préjugé, si c'est là un préjugé, qu'il y a tant soit peu d'exagération dans leur manière de les avancer, et que cette exagération est une tendance au quiétisme. Selon le sage avis d'Alvarez de Paz, nul ne devrait toucher le sujet de la douceur spirituelle, si Dieu ne l'a d'abord conduit dans cette voie.
Nous lisons le trait suivant dans la vie de sainte Jeanne-Françoise de Chantal. Durant son séjour dans l'une des principales villes de France, une religieuse, personne de la plus haute vertu, désira avoir un entretien avec elle au sujet de son âme. La sainte lui accorda volontiers sa demande. Ces deux grandes servantes de Dieu commençant alors à se découvrir l'une à l'autre, en toute simplicité, les voies par lesquelles Notre-Seigneur les avait conduites, la religieuse dit à Sainte Jeanne-Françoise qu'elle se sentait quelquefois fatiguée intérieurement, qu'elle tombait dans une grande faiblesse et dans une extrême langueur; de sorte qu'elle était obligée de se contenter de savoir que Dieu est Dieu, sans oser l'appeler son Dieu, ou même penser qu'il était son Dieu. La sainte lui répondit en ces termes: « Je vous abandonne ce point, ma chère mère, et je ne pratiquerai jamais une pareille abnégation. Quelque tourmentée, quelque abattue que mon âme ait été, je ne suis jamais tombée si bas que je n'aie pu dire: Mon Dieu ! vous êtes mon Dieu et le Dieu de mon coeur ! Car si la foi m'enseigne qu'il est mon Dieu, le baptême que j'ai reçu me pénètre du sentiment qu'il est véritablement mon Dieu. La religieuse répliqua aussitôt qu'il lui semblait que lorsque nous disions mon Dieu, nous n'étions pas encore arrivés à un parfait esprit d'abnégation. A cela la sainte répondit que le sentiment de notre abandon ne pouvait jamais égaler celui du Fils de Dieu et qu'au milieu de la plus terrible de ses épreuves il avait dit : Mon Dieu ! mon Dieu ! Pourquoi m'avez-vous abandonné ? Puis elle ajouta : J'ai souvent dit à Notre-Seigneur, lorsque j'étais cruellement éprouvée, que si c'était son bon plaisir que je demeurasse en enfer, pourvu que cela pût se faire sans que je l'offensasse, et que mon éternel tourment contribuât à sa gloire éternelle, je m'estimerais heureuse, mais qu'il serait toujours mon Dieu. La religieuse remercia sainte Jeanne pour les lumières qu'elle lui avait procurées, déclarant qu'elle était bien faite pour être sa maîtresse dans l'art du divin amour, qu'elle n'oublierait jamais ses sages maximes, et qu'il n'y avait pas de sujet plus délicat dans la vie spirituelle que de savoir comment suivre l'exemple que le Père éternel nous a donné dans la personne de son Fils, Notre-Seigneur. La sainte parlait souvent de cette conversation, tant l'impression qu'elle en avait reçue avait été forte.

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Quel est donc le résultat de nos recherches sur ce sujet si délicat des faveurs spirituelles ? En voici le résumé en peu de mots. Elles viennent de Dieu et sont des marques de son amour. Il sait mieux que nous les époques où il convient de nous les envoyer, par quelles les voies et par quels moyens. Comme c'est toujours pour notre bien et non pour nous tenter qu'il nous les accorde, cette considération devrait suffire pour bannir toutes les craintes exagérées que nous pourrions entretenir à ce sujet. La supposition que ce sont comme des friandises pour attirer les enfants, est également fausse au point de vue théologique, inconvenante, irrévérencieuse, et contredite par l'expérience, puisque les saints sont ceux qui ont reçu ces faveurs avec le plus d'abondance. Il ne faut pas non plus les considérer comme une de ces nombreuses voies par lesquelles Dieu conduit les âmes. Aux unes il les prodigue en abondance, aux autres il les mesure avec plus de parcimonie : mais toutes en reçoivent plus ou moins. Il faut donc les demander par de ferventes prières.
A l'aide de ces faveurs nous acquérons une connaissance expérimentale de Dieu qui, tout en ayant besoin d'être rectifiée par la théologie, est plus complète que toutes les notions que la théologie pourrait nous fournir. Elles nous donnent des forces pour triompher de nature et de nos mauvais penchants. Elles nous soumettent l'esprit humain et les démons. Elles nous facilitent l'accomplissement de notre vocation. Elles vivifient notre amour, nous fortifient dans les tentations, nous inspirent de la confiance en Dieu, augmentent en nous le don de la foi, et font de nous les consolateurs de nos frères. Ne pouvons-nous pas dire avec le peuple de Capharnaüm: « Seigneur, donnez-nous. toujours ce pain » ou répéter mot pour mot avec vérité la prière de la pauvre Samaritaine, désormais la nôtre « Seigneur, donnez-moi cette eau afin que je n'aie plus soif, et que je ne vienne plus en puiser ici . »

 

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