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traduits pour la première
fois en français sur l’édition espagnole de 1702 par un Père de la Compagnie de Jésus 1875 |
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1. Nul ne peut avancer dans la vertu qu’en suivant Jésus-Christ. Il est la voie, la vérité, la vie, et la porte unique par où doit entrer quiconque prétend se sauver. Si quelque esprit aspirait donc à marcher par une voie douce et facile, craignant d’imiter Jésus-Christ, je ne saurais le tenir pour un bon esprit. 2. Que le premier soin de votre coeur soit d’exciter en vous un ardent et affectueux désir d’imiter Jésus-Christ en toutes vos oeuvres, vous étudiant à faire chaque chose comme le Seigneur lui-même la ferait. 3. S’il s’offre à vos sens quelque chose de doux et d’agréable, qui ne tende pas purement à l’honneur et à la gloire de Dieu, renoncez-y pour l’amour de Jésus-Christ, qui, durant les jours de sa vie mortelle, n’eut jamais d’autre goût ni d’autre désir que la volonté de son Père, qu’il appelait sa nourriture. 4. Ne vous proposez jamais aucun homme pour modèle complet de tout ce que vous aurez à faire, quelque saint qu’il puisse être; car le démon ne manquerait pas de vous mettre alors sous les yeux ses imperfections. Mais imitez Jésus qui est souverainement parfait, souverainement saint; et vous ne serez jamais en danger d’errer. 5. Vivez toujours crucifié intérieurement et extérieurement avec Jésus-Christ. Ainsi vous trouverez la paix et la joie de l’esprit; et vous les conserverez dans la patience. 6. Que Jésus crucifié vous suffise seul et sans autre chose. Avec lui souffrez et reposez-vous; n’agréez sans lui ni repos ni peine; et que votre étude assidue soit de vous dépouiller sincèrement de toute attache, de toute inclination, ne vous réservant rien de vous-même. 7. Celui qui fait encore quelque cas de soi, ne doit croire ni qu’il se renonce, ni qu’il suit véritablement Jésus-Christ. 8. Aimez au-dessus de tout autre bien le travail et la peine; et ne croyez pas faire grand’chose en les souffrant pour plaire à ce Seigneur qui n’a pas hésité à mourir pour vous. 9. Si vous avez un vrai désir de trouver et de posséder Jésus-Christ, ne le cherchez jamais sans la croix. 10. Celui qui ne cherche pas la croix de Jésus, ne cherche vraiment pas non plus la gloire de Jésus. 11. Ayez un vrai désir de vous rendre semblable en quelque manière, par la souffrance, à ce grand Dieu Notre-Seigneur, humilié et crucifié! Car si cette vie n’est pas employée à l’imiter, à quoi est-elle bonne? 12. Que sait celui qui ne sait pas souffrir pour l’amour de Jésus? Plus les peines et les travaux endurés pour lui sont durs et accablants, plus celui qui les souffre est digne d’envie. 13. Le désir des trésors et des faveurs de Dieu est universel. Mais combien peu d’âmes aspirent à se fatiguer et à souffrir pour le fils de Dieu! 14. Que Jésus-Christ est peu connu de ceux qui se disent ses amis, lorsqu’ils cherchent en lui la consolation et non l’amertume! 15. Les trois vertus théologales ayant pour office d’éloigner l’âme de tout ce qui est au-dessous de Dieu, doivent par là même nécessairement unir l’âme à Dieu. 16. Si l’on ne marche en avant et pour tout de bon dans la pratique assidue de ces trois vertus, il est impossible d’atteindre à la perfection de l’amour de Dieu. 17. Le chemin de la foi est le seul bon et sûr. C’est par lui que doivent marcher les âmes qui veulent avancer dans la vertu, fermant les yeux à tout ce qui est des sens, ou de l’esprit propre, si éclairé qu’il soit. 18. Quand les inspirations viennent de Dieu, elles sont toujours réglées par des motifs tirés de la loi de Dieu et de la foi, et c’est par la perfection de la foi que l’âme va s’approchant toujours d’avantage de Dieu. 19. L’âme qui s’attache fidèlement aux lumières et aux vérités de la foi, marche sûrement sans danger d’erreur. Car on peut tenir pour règle ordinaire qu’une âme ne s’égare qu’en suivant ses inclinations, ses goûts, ses raisonnements et ses idées propres, qui la font pécher presque toujours ou par excès ou par défaut, l’inclinant vers ce qui ne convient point au service de Dieu. 20. Avec la foi, l’âme chemine sans avoir à craindre le démon, son plus fort et son plus astucieux ennemi. Aussi saint Pierre ne trouvait pas de plus puissant secours contre le démon, et disait aux fidèles: Résistez-lui par la fermeté de votre foi! 21. Pour qu’une âme approche de Dieu et s’unisse à lui, il vaut mieux qu’elle marche sans comprendre qu’en comprenant, et dans un oubli total des créatures; échangeant ce qu’il y a de compréhensible et de variable dans les créatures, contre l’immuable et l’incompréhensible qui est Dieu même. 22. La lumière nous est utile en ce monde visible, pour nous empêcher de tomber. Mais dans les choses de Dieu, tout au contraire, mieux vaut ne pas voir; et l’âme y trouve plus de sécurité. 23. Comme il est certain que, dans cette vie, nous connaissons Dieu plutôt par ce qu’il n’est pas que par ce qu’il est, l’âme doit, pour aller à lui, marcher en rejetant toute perception, naturelle et surnaturelle, autant que cela lui est possible. 24. Toute perception et intelligence des choses surnaturelles ne saurait nous aider autant, pour croître dans l’amour divin, que le moindre acte de foi vive et d’espérance en Dieu, complètement dénué de toute lumière. 25. De même que, suivant les lois de la génération naturelle, aucun être ne saurait prendre une forme nouvelle, sans prendre celle qu’il avait auparavant, de même il faut que la vie animale et la vie des sens soit détruite en l’âme, pour y donner place à la pure vie de l’esprit. 26. Ne cherchez pas la présence des créatures, si vous voulez conserver clairs et purs les traits de la face divine en votre âme. Mais dégagez et videz votre esprit de tout objet créé. Ainsi vous marcherez parmi les lumières de Dieu, qui ne ressemble pas à la créature. 27. La foi est le plus sûr refuge d’une âme; et l’Esprit Saint lui-même est alors sa lumière. Car plus une âme est pure et riche des perfections d’une foi vive, plus elle possède abondamment la charité infuse de Dieu, et plus elle reçoit de lumières et de dons surnaturels. 28. Une des faveurs les plus insignes que le Seigneur fasse à une âme durant cette vie (encore n’est-elle pas durable, mais passagère!) c’est de lui accorder une connaissance si claire et un sentiment si relevé de sa divinité, qu’elle comprenne et voie d’une vue très nette, qu’il lui est impossible d’en avoir pleinement ici-bas la connaissance et le sentiment. 29. Quand une âme s’appuie sur sa propre science, ou sur ses goûts et ses sentiments, pour aller à Dieu, ne voyant pas que de pareils moyens sont sans valeur et sans proportion avec un tel but, elle s’égare facilement, ou s’arrête en chemin, faute de s’attacher aveuglement à la seule foi, qui est son vrai guide. 30. C’est une chose surprenante que ce qui se passe de nos jours. Quand une âme a pour moins de quatre deniers de considération des choses divines, et qu’elle entend en elle-même le son de quelque parole intérieure, durant une heure de recueillement, elle tient aussitôt cela pour quelque chose de sacré et de divin sans en douter le moins du monde: “Dieu, dit-elle, m’a dit: Dieu m’a “répondu”. Or cela n’est pas vrai; et c’est elle-même qui se parle et qui se répond, par l’effet même de son désir. 31. Celui qui voudrait, de nos jours, demander à Dieu et obtenir quelque vision ou révélation ferait, ce me semble, outrage au Seigneur, ne jetant pas uniquement les yeux sur son Christ. Et Dieu aurait droit de lui répondre: “Voici que vous avez mon fils bien-aimé, en qui j’ai mis toutes mes complaisances. Ecoutez-le, et ne cherchez pas de nouveaux modes d’enseignement; car en lui et par lui je vous ai dit et révélé tout ce que vous pouvez désirer et me demander; vous le donnant pour frère, pour maître, pour compagnon, pour rançon et pour récompense.” 32. Nous devons en tout nous guider par la doctrine de Jésus-Christ et de son Eglise, y cherchant le remède à nos ignorances et à nos faiblesses spirituelles; car c’est là, en effet, que nous trouverons pour tous nos maux un remède sûr et toujours présent. Et celui qui s’écarterait de cette voie, serait non seulement coupable de vaine curiosité, mais d’une témérité insupportable. 33. Il ne faut rien croire ni agréer par communication surnaturelle, que ce qui est d’accord avec la doctrine de Jésus-Christ et la parole de ses ministres. 34. L’âme qui veut avoir des révélations, pèche au moins véniellement; et ceux qui la poussent à ce désir ou qui y consentent, pèchent de même, bien que ce soit pour une bonne fin, parce qu’il n’y a en tout cela aucune nécessité: la raison naturelle et la doctrine de l’évangile suffisant pour nous diriger en toute chose. 35. L’âme qui désire des révélations, diminue d’autant la perfection qu’elle avait acquise en ne se guidant que par la foi; et elle ouvre ainsi la porte au démon, lui permettant de venir la tromper par d’autres révélations toutes semblables, qu’il sait déguiser à merveille et faire paraître également bonnes. 36. Toute la sagesse des saints consiste à savoir diriger fortement leur volonté vers Dieu, observant avec perfection sa sainte loi et ses divins conseils. 37. La ferme espérance est toute-puissante pour toucher et vaincre le coeur de Dieu; et pour atteindre à l’union d’amour, l’âme doit marcher en ne s’appuyant que sur l’espérance en Dieu seul, sans laquelle elle ne saurait rien obtenir. 38. La vive espérance en Dieu remplit l’âme d’un tel courage et lui imprime un tel élan vers les biens éternels, que tout ce qui est dans le monde apparaît (comme il l’est en réalité) sec, flétri, mort, et de nulle valeur auprès de ce qu’elle espère posséder au ciel. 39. L’âme, soutenue par l’espérance, embrasse avec joie le dénuement, et se dépouille sans réserve de toute parure, de tout vêtement propre au monde; ne mettant plus son coeur et son attente, ni pour le présent, ni pour l’avenir, dans aucun des biens d’ici-bas; et ne voulant avoir en cette vie que l’espoir seul de la vie éternelle. 40. Par la vive espérance en Dieu, l’âme tient son coeur si élevé au-dessus du monde et si libre de tous ses pièges, que non seulement elle ne s’attache plus aux créatures, mais elle les perd même de vue. 41. Dans les tribulations, recourez aussitôt à Dieu avec confiance, et vous trouverez près de lui force, lumière et enseignement. 42. Il y a plus d’inconvenance et d’impureté d’âme à s’approcher de Dieu en gardant la moindre affection de coeur aux choses du monde, qu’à se présenter devant lui, l’esprit accablé des plus honteuses, des plus affligeantes tentations, et plongé dans les plus profondes ténèbres, pourvu que la volonté n’y consente pas. Et l’âme, en cet état, peut aller à Dieu avec confiance, ne prétendant accomplir que la volonté de sa Majesté divine qui nous dit: “Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et accablés, et je vous soulagerai. 43. Ayez un intime désir que la divine Majesté vous donne tout ce qu’elle sait vous manquer, pour procurer son honneur et sa gloire. 44. Que votre confiance en Dieu soit ferme et constante. Mais ayez soin d’estimer surtout, en vous et en vos frères, ce que Dieu lui-même estime le plus, les biens spirituels de la grâce. 45. Plus Dieu veut nous donner, et plus il augmente nos désirs, faisant sentir le vide de l’âme, pour la remplir ensuite de ses biens. 46. Dieu agrée tellement l’espérance d’une âme, qui sans cesse est tournée vers lui, sans jamais abaisser ses yeux vers un autre objet, qu’on peut bien dire d’elle avec vérité: Elle obtient autant qu’elle espère. 47. Parmi les plaisirs et les jouissances, recourez promptement à Dieu, avec crainte, et en vérité, afin de n’être point séduit et enveloppé par la vanité. 48. Ne vous réjouissez pas en votre coeur parmi les prospérités temporelles, ne sachant pas avec certitude que les biens de la vie éternelle vous soient assurés. 49. Quand un homme, ici-bas, voit tout lui réussir comme il l’a désiré, et comme on dit vulgairement, dès qu’il ouvre la bouche pour le demander; il doit bien plutôt craindre que se réjouir: les occasions d’oublier Dieu et les périls de l’offenser croissant en proportion des prospérités. 50. Ne livrez point votre coeur à une joie vaine, sachant combien de péchés vous avez commis, et quels péchés vous avez commis, et quels péchés! et ne sachant pas si, dans ce moment, vous êtes vraiment agréable à Dieu. Persévérez donc humblement dans la crainte et dans l’espérance. 51. Comment osez-vous donc vous réjouir ainsi sans aucune crainte, vous qui devez paraître devant Dieu, pour lui rendre compte de la moindre parole, de la moindre pensée? 52. Songez qu’il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Si vous ne prenez donc vous-même soin de votre âme, votre perte est sans aucun doute plus assurée pour votre salut; surtout la voie qui mène à la vie éternelle étant si étroite! 53. Puisqu’il sera si accablant pour vous, à l’heure de la mort, de n’avoir pas employé à servir Dieu le temps qu’il vous donnait, pourquoi n’en faites-vous pas, dès à présent, l’usage que vous voudrez en avoir fait, quand vous serez près de mourir? 54. La force de l’âme est dans ses puissances, ses passions et ses appétits. Quand notre volonté les tourne vers Dieu et les détourne de tout ce qui n’est pas Dieu, alors on peut dire de notre âme qu’elle garde pour Dieu toute sa force, qu’elle aime vraiment Dieu de toute sa force, comme le Seigneur lui-même l’a ordonné. 55. La charité est comme une robe précieuse, dont la couleur et l’éclat donnent de la grâce, de la force et de la beauté à la blancheur d’une foi sans tache, au vert de l’espérance, et à toutes les autres vertus qui ornent une âme, mais dont aucune, sans la charité, n’aurait de grâce devant Dieu. 56. Le prix de la charité ne consiste pas dans la force et dans la vivacité du sentiment, mais dans le dénuement et la patience, au milieu des peines et des travaux que l’âme endure pour son bien-aimé Seigneur. 57. Dieu estime bien plus le moindre accroissement de pureté dans votre conscience, que toutes les grandes oeuvres extérieures que vous pourriez entreprendre pour le servir. 58. Chercher Dieu en lui-même, c’est se priver pour Dieu de toute consolation; et incliner son coeur à choisir toujours de préférence tout ce qui doit le moins flatter ses goûts, soit de la part de Dieu, soit de la part du monde, voilà ce qui s’appelle aimer vraiment Dieu. 59. Ne croyez pas mieux plaire à Dieu en faisant beaucoup, mais en faisant bien ce que vous faites, c’est-à-dire de bonne volonté, sans recherche propre ni respect humain. 60. Celui-là fait bien voir qu’il aime vraiment Dieu, qui ne se contente d’aucun autre objet moindre que Dieu. 61. Pour donner aux cheveux plus de moelleux et plus d’éclat, le fréquent usage du peigne est indispensable; et l’on y recourt alors sans aucune peine, autant qu’on le veut. Ainsi le fréquent usage de l’examen aide l’âme à purifier ses pensées, ses paroles et ses actions, et à ne plus agir que pour l’amour de Dieu en toute chose. 62. Les cheveux ont d’autant plus d’éclat que le peigne les prend et les purifie plus près de la racine, en commençant au sommet de la tête; ainsi faut-il commencer de plus haut à faire pour l’amour de Dieu toutes nos actions, afin de leur donner plus de pureté et plus d’éclat. 63. Mettre un frein à sa langue et à la liberté de ses pensées, et s’exercer assidûment à ramener vers Dieu toutes ses affections, voilà ce qui, en peu de temps, embrase l’âme d’une ardeur divine. 64. Efforcez-vous sans relâche de plaire à Dieu; demandez-lui que son bon plaisir s’accomplisse en vous; aimez-le beaucoup; vous le lui devez bien! 65. Toute bonté en nous n’est qu’une bonté d’emprunt et que Dieu nous prête. Mais la bonté de Dieu lui appartient en propre. Le principe et le terme de l’oeuvre divine est Dieu. 66. Une seule heure des biens de Dieu vaut mieux pour nous que la jouissance de nos propres biens durant tous les jours de notre vie. 67. Le Seigneur a toujours découvert aux hommes les trésors de sa sagesse et de son esprit. Mais il les découvre particulièrement aujourd’hui, à mesure que le mal se découvre de plus en plus et lève la tête. 68. Dieu fait une oeuvre plus grande en quelque manière, lorsqu’il purifie une âme de ses affections désordonnées, que lorsqu’il la tire du néant; parce que le néant n’oppose pas à sa Majesté la même résistance que l’appétit déréglé de la créature. 69. Ce que Dieu prétend, c’est de faire de nous des dieux, par participation de ce qu’il est lui-même par nature; de même que le feu convertit toute chose en feu. 70. Au soir de cette vie, on vous examinera sur l’amour. Apprenez donc à aimer Dieu comme il veut être aimé, et laissez-vous vous-même. 71. L’âme qui veut Dieu tout entier doit se donner tout entière à Dieu. 72. Les âmes neuves et imparfaites en l’amour de Dieu sont semblables au vin nouveau qui se gâte facilement, jusqu’à ce que la lie de leurs imperfections, les bouillonnements de leur coeur, les goûts sensuels et grossiers en soient séparés. 73. Moins notre volonté est affermie en Dieu, plus les passions règnent en notre âme et la tourmentent, et plus elle est dépendante des créatures; car elle se porte alors aisément à goûter ce qui ne mérite pas d’être goûté, à espérer ce qui ne lui apportera aucun profit, à s’affliger de ce qui devrait peut-être faire sa joie, à craindre ce qui ne mérite pas d’être craint. 74. La Majesté divine voit avec un extrême déplaisir ceux qui, cherchant l’aliment de leur âme, ne se contentent pas de Dieu seul, mais poursuivent encore quelque autre objet que leurs appétits naturels réclament. 75. L’âme qui, tout en aimant Dieu, veut aimer encore quelque autre chose, a vraiment bien peu d’estime pour Dieu, puisqu’elle met avec lui dans la balance ce qui est infiniment au-dessous de Dieu. 76. De même qu’un malade est trop faible pour travailler, de même une âme languissante dans l’amour de Dieu est trop faible pour accomplir des oeuvres parfaites. 77. Se rechercher soi-même en Dieu, c’est chercher les douceurs et les consolations de Dieu: et cela est contraire au pur amour de Dieu. 78. C’est un grand mal d’arrêter ses yeux plutôt sur les biens de Dieu que sur Dieu lui-même. 79. Beaucoup cherchent en Dieu leur consolation et leur goût, désirant que sa Majesté les comble de ses dons et de ses faveurs; mais combien le nombre est petit de ceux qui prétendent lui plaire et lui donner quelque chose à leurs dépens, mettant de côté leur propre intérêt. 80. Il y a peu d’hommes spirituels qui atteignent la parfaite détermination au bien, même parmi ceux que l’on tient pour très avancés dans la vertu, parce qu’ils n’achèvent jamais de se renoncer entièrement, sur tel ou tel point de l’esprit du monde ou de la nature, jusqu’à ne plus se soucier du qu’en-dira-t-on ni des apparences, quand il s’agit d’accomplir quelque oeuvre parfaite et purement pour Jésus-Christ. 81. Tel est, dans ceux qui font profession de vie spirituelle, aussi bien que parmi le commun des hommes, l’attachement à sa volonté propre et la complaisance en ses propres oeuvres, qu’à grand’peine en trouve-t-on un qui ait pour unique mobile de ses actions le pur amour de Dieu, sans aucune attache d’intérêt, de consolation, de goût naturel, ou de quelque autre motif humain. 82. Il y a des âmes qui appellent Dieu leur époux et leur bien-aimé, sans qu’il soit cependant véritablement leur bien-aimé, parce qu’elles ne lui ont pas livré tout leur coeur. 83. Que sert de donner une chose à Dieu, quand il vous en demande une autre? Voyez ce que Dieu veut, et faites-le! Et votre coeur y trouvera une bien plus douce satisfaction qu’à suivre le penchant de la nature. 84. Pour trouver en Dieu toute sa joie, il faut que l’âme se décide à se contenter de Dieu seul. Car, fût-elle déjà dans le paradis, si toute sa volonté ne cherche Dieu, elle ne saurait être contente. Et voilà ce qui nous arrive avec Dieu, tant que notre coeur garde quelque affection pour autre chose. 85. Comme les épices aromatiques, exposées à l’air, vont perdant leur parfum et la force de leur odeur, ainsi l’âme qui n’est pas recueillie et ne concentre pas en Dieu tout son amour, perd la chaleur et la vigueur de la vertu. 86. Celui qui ne veut pas autre chose que Dieu ne marche pas dans les ténèbres, quelque pauvre et privé de lumière qu’il se puisse croire. 87. Celui qui consent à souffrir pour Dieu, montre bien que vraiment il s’est donné à Dieu et qu’il l’aime. 88. L’âme qui, parmi les abandonnements et les sécheresses, conserve l’incessante sollicitude de servir Dieu, tout en regrettant et en s’affligeant de ne pas mieux le faire, offre à Dieu en réalité un sacrifice de très agréable odeur. 89. Quand Dieu est véritablement aimé d’une âme, ils’incline facilement à exaucer les désirs de son coeur. 90. Avec l’amour de Dieu, l’âme est en sûreté contre la chair, son ennemie. Car, partout où se trouve le véritable amour de Dieu, l’amour de soi et de ses intérêts ne peut pénétrer. 91. L’âme qui aime Dieu est douce, paisible, humble et patiente; mais l’âme qui s’aime est dure et s’endurcit de plus en plus. Et si vous n’adoucissez mon âme, ô mon bon Jésus, en la pénétrant de votre amour, elle persévérera dans la dureté de sa nature. 92. L’âme embrasée d’amour ne se fatigue point et ne fatigue point. 93. Elève ta pensée vers l’infini savoir, vers le secret caché à l’oeil de l’homme. Quelle paix! quel amour! quel silence règne en ce coeur divin! quelle haute science Dieu même y enseigne! ces élévations sont ce qu’on appelle actes anagogiques, ardentes oraisons jaculatoires, qui embrasent le coeur. 94. Le parfait amour de Dieu ne peut subsister sans la connaissance de Dieu et de soi-même. 95. C’est une propriété de l’amour parfait de ne rien vouloir pour soi-même, de ne rien s’attribuer, mais d’attribuer tout à son bien-aimé. Et si cela est vrai de l’amour terrestre, combien l’est-il plus de l’amour de Dieu! 96. C’est un prodige que les vieux amis de Dieu puissent lui manquer, étant élevés au-dessus de tout ce qui semblerait pouvoir leur manquer. 97. Le véritable amour reçoit, d’un coeur égal, et la prospérité et l’adversité, sachant trouver en tout sa joie et ses délices. 98. L’âme qui travaille à se dépouiller, pour l’amour de Dieu, de tout ce qui n’est pas Dieu, est bientôt toute pénétrée de lumière, et tellement transformée en Dieu, qu’elle lui devient toute semblable et entre en possession de tous ses biens. 99. Une âme unie à Dieu est terrible au démon comme Dieu lui-même. 100. L’âme parvenue à l’union d’amour est affranchie même des premiers mouvements de la nature. 101. La pureté de coeur est en nous au même degré que l’amour divin et la grâce de Notre-Seigneur. Aussi les coeurs purs sont-ils appelés bienheureux par notre divin Sauveur, c’est-à-dire bien aimants, puisque la béatitude nous sera donnée selon la mesure de notre amour. 102. Celui qui aime vraiment Dieu ne rougit point devant les hommes de ce qu’il fait pour Dieu; et il ne le cache pas avec confusion, quand bien même le monde entier le condamnerait. 103. Celui qui aime vraiment Dieu regarde comme un gain et une récompense de perdre toute chose et de se perdre encore lui-même pour Dieu. 104. Si l’âme entrevoyait tant soit peu, une seule fois, la beauté de Dieu, elle aspirerait non seulement à mourir une fois pour le voir toujours, mais elle endurerait avec joie mille morts très cruelles, rien que pour le voir un seul moment. 105. Celui qui par pur amour travaille pour Dieu, non seulement s’inquiète peu du regard des hommes, mais n’agit même pas pour être vu de Dieu; et quand il apprendrait par impossible que Dieu pût jamais cesser de voir ses oeuvres, il ne laisserait pas de le servir avec même allégresse et même pureté d’amour. 106. C’est une grande chose que l’exercice assidu du saint amour; et l’âme arrivée à la perfection et à la consommation de l’amour, ne peut rester longtemps, soit en cette vie, soit en l’autre, sans voir la face de Dieu. 107. Une oeuvre faite purement et tout entière pour Dieu par un coeur pur, rend parfait dans une âme le règne de Dieu. 108. Peu importe au coeur pur ou l’élévation ou l’abaissement. Il sait profiter également de l’une et de l’autre, pour devenir toujours plus pur; tandis que, dans l’une et dans l’autre, le coeur impur ne sait produire que de nouveaux fruits d’impureté. 109. Le coeur pur trouve en toute chose une connaissance intime de Dieu, savoureuse, chaste, pure et spirituelle, pleine de joie et pleine d’amour. 110. Par la garde des sens qui sont les portes de notre âme, nous assurerons puissamment et augmenterons sa paix et sa pureté. 111. Jamais l’homme ne perdrait la paix de son âme, s’il oubliait toutes ses pensées, s’abstenant d’entendre, de voir, et de traiter avec les créatures, autant qu’il le peut. 112. Si nous écartions le souvenir de toutes les choses créées, rien ne pourrait troubler la paix de notre âme, ni réveiller jamais les appétits déréglés qui l’agitent; car, comme dit le proverbe, ce que l’oeil ne voit pas, le coeur ne le désire pas. 113. Plus l’âme est inquiète, agitée, et mal affermie dans la mortification de ses désirs et de ses passions, plus elle est incapable du bien spirituel, qui ne s’imprime que dans une âme où tout est soumis et dans la paix. 114. Remarquez-le bien, Dieu ne règne que dans l’âme pacifique et qui ne cherche pas son propre intérêt. 115. Mettez votre âme dans le calme, éloignant de vous tout soin superflu, vous souciant peu de ce qui arrive; et vous servirez Dieu selon son bon plaisir; et vous trouverez en lui votre joie. 116. Ayez soin de conserver votre coeur en paix; qu’aucun événement humain ne le trouble; songez que tout ici-bas doit finir. 117. Ne vous laissez pas attrister soudain par les accidents fâcheux de ce monde; car vous ignorez les biens qu’ils apportent, et par quels secrets jugements de Dieu ils sont disposés pour la joie éternelle de ses élus. 118. Dans tous les accidents, quelque fâcheux qu’ils soient, nous devons bien plutôt nous réjouir que nous attrister, pour ne point perdre un bien plus précieux encore, la paix et le calme de notre âme. 119. Quand même tout s’écroulerait, et quand tout ici-bas tournerait contre nous, à quoi servirait de nous troubler? Puisque ce trouble même nous apporterait bien plus de dommage que de profit! 120. Tout supporter avec la même égalité de coeur et la même paix est une disposition très utile à l’âme, et elle y trouve de grands biens; et au milieu même des adversités, elle apprend ainsi à mieux les juger et à leur trouver mieux le remède convenable. 121. Non, ce n’est pas la volonté de Dieu que l’âme se trouble et s’afflige d’aucune des choses d’ici-bas. Mais lorsque en effet elle s’afflige parmi les tribulations de ce monde, la cause en est uniquement dans la faiblesse de sa vertu ; car l’âme parfaite se réjouit de ce qui contriste l’âme imparfaite. 122. Plus une âme devient céleste, plus aussi elle devient ferme, immuable et incorruptible, cessant d’engendrer les fruits corrompus de ses appétits désordonnés, et participant en quelque manière à la ressemblance de Dieu, qui ne change point. 123. La sagesse entre par l’amour, par le silence et par la mortification. C’est une sublime sagesse de savoir se taire et souffrir, sans arrêter ses yeux sur les discours, les actions et la vie d’autrui. 124. Ayez grand soin de ne point vous mêler de choses étrangères. Ne leur laissez pas même de place en votre mémoire. Peut-être ne suffirez-vous pas même à votre tâche. 125. Ne soupçonnez aucun mal de votre frère. Car le soupçon altère la pureté du coeur. 126. N’écoutez jamais un seul mot des faiblesses d’autrui; et si quelqu’un vient se plaindre à vous de son prochain, priez-le humblement de ne rien vous en dire. 127. Ne refusez pas un travail, quand bien même il vous semblerait au-dessus de vos forces; et que chacun trouve toujours en vous un coeur charitable et compatissant. 128. Nul ne mérite d’être aimé que pour la vertu qui se trouve en lui; et quand on aime ainsi, on aime vraiment selon Dieu et avec une grande liberté de coeur. 129. Quand l’amour que l’on porte à la créature est une affection toute spirituelle et fondée en Dieu seul, à mesure qu’elle croît, l’amour de Dieu croît aussi dans notre âme; et plus alors le coeur se souvient du prochain, plus il se souvient aussi de Dieu et le désire, ces deux amours croissant à l’envi l’un de l’autre. 130. Quand l’amour de la créature naît en nous d’une inclination sensuelle, ou d’une affection toute naturelle, à mesure qu’il va s’augmentant, l’amour et la pensée de Dieu vont se refroidissant en notre coeur; et le souvenir de la créature n’y laisse que le remords de la conscience. 131. Ce qui naît de la chair est chair et ce qui naît de l’esprit est esprit, dit Notre-Seigneur dans son évangile; et ainsi l’amour qui naît de la sensualité aboutit à la sensualité, tandis que l’amour qui naît de l’esprit aboutit à l’esprit de Dieu et le fait croître en nous; et tels sont les traits opposés auxquels nous reconnaîtrons ces deux amours. 132. Celui qui aime d’un amour déréglé une créature, descend par cet amour aussi bas que la créature qu’il aime, et en quelque sorte plus bas encore; l’amour ne se bornant pas à égaler, mais assujettissant celui qui aime à l’objet aimé. 133. Les affections et les passions de l’âme sont une source d’où naissent toutes les vertus, quand l’ordre règne dans notre coeur; mais de la même source naissent toutes les imperfections et tous les vices, dès que les appétits de l’âme sont déréglés. 134. Tout appétit déréglé de notre coeur, en nous faisant perdre l’esprit de Dieu, produit dans notre âme cinq autres effets très funestes: il la fatigue, il la tourmente, il l’obscurcit, il la souille et il l’affaiblit. 135. Toutes les créatures sont comme des miettes qui tombent de la table de Dieu; et celui qui cherche son aliment dans les créatures est très justement comparé au chien; et très justement aussi, comme le chien, il va et vient sans cesse, toujours affamé; les miettes servant bien plutôt à irriter sa faim, qu’à la satisfaire. 136. Les appétits de l’âme sont comme ces petits enfants toujours inquiets et sans repos, qui tournent sans cesse autour de leur mère, lui demandant tantôt un objet et tantôt un autre, sans que jamais rien puisse les satisfaire; ou comme un pauvre fiévreux, qui ne peut parvenir à trouver un peu de soulagement jusqu’à ce que sa fièvre l’ait quitté, et dont la soif va toujours croissant. 137. L’âme qui n’a pas secoué tout souci des choses du monde et ne renonce pas à ses appétits désordonnés, marche avec autant de peine dans les voies de Dieu, que le malheureux qui traîne un char en gravissant une montagne. 138. Le malheureux qui tombe entre les mains de ses ennemis n’est pas plus affligé et n’endure pas plus de tourments que l’âme esclave de ses appétits désordonnés. 139. Ce que ressent de douleur et d’affliction celui qui est couché nu sur des épines, l’âme le souffre inévitablement, quand elle prétend trouver son repos dans ses appétits désordonnés, qui, non moins douloureux que des épines, la blessent, la torturent, la brûlent, sans adoucissement à sa douleur. 140. De même que les vapeurs obscurcissent l’air et voilent l’éclat du soleil, ainsi l’âme livrée à ses appétits déréglés aura son entendement obscurci; et ni les lumières naturelles de la raison, ni l’irradiation surnaturelle de la sagesse divine ne pourront plus la pénétrer et l’illuminer de leur éclat. 141. Celui qui cherche à satisfaire l’avidité de ses appétits est comme le pauvre petit papillon qu’aveugle et consume la flamme où il vole, ou comme le poisson pris au flambeau dont l’éclat lui sert vraiment de ténèbres, ne lui laissant pas apercevoir le piège préparé par le pêcheur. 142. Oh! qui pourra dire combien il est impossible à une âme dominée par ses appétits, de juger les choses de Dieu telles qu’elles sont en vérité! Tant que ce nuage est étendu sur l’oeil de notre âme, elle n’aperçoit que le nuage, tantôt d’une couleur et tantôt d’une autre; et ainsi les choses de Dieu sont entrevues par elle comme ne venant pas de Dieu, et celles qui ne viennent pas de Dieu, comme venant de Dieu. 143. L’oiseau pris à la glu est condamné à un double travail, pour reprendre son vol et se nettoyer. Ainsi l’âme qui s’attache à ses appétits désordonnés, se voit condamnée à la double peine de rompre ses liens et de se purifier de ses souillures. 144. Ainsi que des taches de suie souilleraient la beauté du plus admirable visage, ainsi les affections déréglées de notre âme souillent en nous l’incomparable et ravissante image de Dieu. 145. Celui qui touche de la poix, dit le Saint-Esprit, ne peut éviter d’en être souillé. Or qu’est-ce que toucher de la poix, sinon chercher dans la créature la satisfaction de ses appétits? 146. Si nous voulions ici exposer en détail la dégoûtante et honteuse laideur qu’imprime à l’âme le dérèglement de ses appétits, nous ne saurions découvrir aucun objet, même souillé par ce qu’il y a de plus dégoûtant en fait d’insectes ou de reptiles, qui pût lui être comparé. 147. Nos appétits désordonnés ressemblent à ces rejetons qui naissent et croissent autour d’un arbre, lui dérobant sa sève et sa vigueur, et l’empêchant de produire ses fruits. 148. La malignité des humeurs d’un pauvre malade ne lui rend pas la marche aussi fatigante, ne lui donne pas autant de dégoût pour la nourriture, que l’affection aux créatures ne donne de dégoût et d’accablement à une âme pour l’exercice des vertus. 149. Bien des âmes ne ressentent aucun désir de la pratique des vertus, parce que leurs affections ne sont pas pures et cherchent autre chose que Dieu. 150. Comme les petits de la vipère, au fur et à mesure de leur croissance dans le ventre de leur mère, la rongent et la tuent, cherchant leur vie aux dépens de la sienne, ainsi les appétits déréglés de l’âme, quand ils ne sont pas mortifiés, l’affaiblissent enfin jusqu’à détruire en elle la vie de Dieu, et demeurent alors seuls vivants en elle, parce qu’elle ne les a pas d’abord étouffés. 151. La terre a besoin du travail de l’homme pour porter des fruits; et elle n’engendre sans travail que de mauvaises herbes. Ainsi la mortification de nos appétits nous est nécessaire pour conserver à notre âme sa pureté. 152. Le bois ne se transforme pas en feu, pour peu que le degré de chaleur nécessaire ne soit pas atteint; et pour peu qu’une imperfection soit conservée dans l’âme, elle ne saurait pleinement se transformer en Dieu. 153. Qu’un lien soit de fer ou du fil le plus délié, tant qu’il n’a pas été rompu, l’oiseau ne prendra pas son vol; et l’âme enchaînée, si peu que ce soit, par quelque affection aux choses humaines, ne peut, avant de briser ce lien, s’envoler vers Dieu. 154. Les attaches de l’âme et ses appétits déréglés sont la fatale puissance que l’on attribue au poisson nommé Remord. Malgré son extrême petitesse, dès qu’il s’attache à un navire, il le retient, dit-on, tellement immobile, qu’il ne lui permet plus d’avancer d’un pas. 155. Oh! si les âmes qui font profession de vie spirituelle savaient de quels biens et de quelle abondance de l’esprit de Dieu elles se privent, faute de vouloir en finir avec toute affection aux enfantillages d’ici-bas! Comme elles trouveraient surabondamment, dans le très pur aliment spirituel, figuré par la manne, le goût le plus délicieux que puisse leur offrir toute créature, dès qu’elles ne chercheraient plus à goûter aucune créature! 156. Lorsque les enfants d’Israël cessaient de trouver dans la manne le goût et la force qu’ils désiraient, cela ne venait point de ce que la manne l’eût perdu, mais de ce qu’ils voulaient autre chose. 157. Une seule étincelle peut allumer un grand embrasement; et une seule imperfection suffit pour en engendrer beaucoup d’autres. Aussi ne verrons-nous jamais qu’une âme négligente à vaincre un seul de ses appétits désordonnés, ne soit vaincue bientôt par plusieurs autres, fruits de ce premier état de faiblesse et d’imperfection. 158. Si faibles que soient les inclinations que nous conservons volontairement et avec entière advertence, dès qu’elles passent en habitude, elles sont l’obstacle le plus redoutable dans le chemin de la perfection. 159. Toute imperfection d’habitude et où l’âme demeure avec affection, lui fait plus de mal et met plus d’obstacle à son avancement dans la vertu, que beaucoup d’autres imperfections, plus considérables peut-être, mais qui n’auraient pas les funestes effets de l’habitude. 160. Dieu conçoit une juste indignation contre certaines âmes, que sa main puissante avait tirées du monde et des occasions de fautes graves, quand il les voit lâches et négligentes à mortifier certaines imperfections; et pour châtiment, il les laisse suivre leurs appétits désordonnés, et tomber de mal en pis. 161. Prenez conseil de votre raison, et suivez toujours sa lumière et sa direction dans les voies de Dieu. Elle vous sera plus utile pour aller à Dieu que toutes les oeuvres faites sans elle, et que tous les goûts spirituels qui vous charmeraient. 162. Bienheureux celui qui, sans écouter ses inclinations et ses goûts, apprécie toutes choses suivant la raison et la justice, pour les accomplir. 163. L’homme qui agit suivant la raison est semblable à celui qui use d’aliments solides et substantiels; mais l’homme qui, dans ses oeuvres, cherche à satisfaire ses goûts et sa volonté, ressemble à celui qui se nourrirait de fruits acides et sans chair. 164. Il ne convient pas à la créature de vouloir franchir les limites que le Créateur de la nature lui a fixées; et l’homme ayant reçu de Dieu, dans les limites de sa nature et de sa raison, ce qui lui est nécessaire pour se gouverner, il ne serait ni saint ni convenable de vouloir en sortir pour acquérir par voie surnaturelle une connaissance plus étendue. Aussi Dieu ne goûte-t-il point cette façon d’agir; et si quelquefois il y répond, c’est par pure condescendance à la faiblesse de l’âme. 165. L’homme ne sait se gouverner, par rapport au plaisir et à la douleur, suivant la raison et la prudence, parce qu’il ignore où se trouve, et jusqu’à quel degré, le bien et le mal. 166. Nous ignorons, pour ainsi dire, ce qui est à notre droite et à notre gauche, prenant à chaque pas le mal pour le bien et le bien pour le mal; et si cela vient déjà de notre nature, que sera-ce donc si à nos ténèbres naturelles viennent se joindre encore celles de nos appétits désordonnés? 167. L’affection de la volonté, en tant qu’affection, est aveugle; elle ne se règle point d’elle-même suivant la raison, qui seule peut guider constamment notre âme dans la droite voie et doit diriger ses opérations. Aussi toutes les fois que l’âme prend pour guide ses affections, elle marche à l’aveugle. 168. Les anges sont les pasteurs de nos âmes; et, non contents de porter à Dieu nos messages, ils nous portent aussi les messages de Dieu. Ils nourrissent nos âmes de leurs douces inspirations, ainsi que des communications divines; et comme de bons pasteurs, ils nous secourent et nous défendent contre les loups, c’est-à-dire contre les démons. 169. Par leurs secrètes inspirations, les anges donnent à notre âme une connaissance plus haute de Dieu; et par là ils l’embrasent d’une plus vive flamme pour Dieu, jusqu’à la laisser toute blessée d’amour. 170. La même sagesse divine, qui dans le ciel éclaire les anges et les purifie de toute ignorance, éclaire pareillement ici-bas les hommes, et les purifie de leurs imperfections et de leurs erreurs; et cette divine lumière, se communiquant de hiérarchie en hiérarchie, arrive par elles jusqu’à nos âmes. 171. La lumière de Dieu illumine l’ange, le pénétrant de sa splendeur et l’embrasant de son amour, comme un pur esprit tout disposé à cette participation divine; mais l’homme impur et faible n’en est pénétré d’ordinaire que parmi les obscurités, la douleur et l’angoisse; comme la lumière du soleil n’éclaire des yeux malades qu’en les affligeant. 172. Quand l’homme est devenu vraiment spirituel et dépouillé de ce qu’il avait de grossier par l’amour divin qui le purifie, alors il participe avec suavité, et à la manière des anges, à l’union et à l’influence de l’amoureuse illumination de Dieu; et il y a même des âmes qui, dès cette vie, ont reçu de Dieu une plus parfaite illumination que les anges. 173. Quand Dieu fait quelque faveur à une âme par l’intermédiaire de son bon ange, il permet d’ordinaire que le démon en ait connaissance et s’y oppose alors de tout son pouvoir, dans une mesure conforme à la justice; afin que le triomphe en ait plus de prix, et que l’âme victorieuse et fidèle au milieu de la tentation obtienne une plus brillante récompense. 174. Considérez que votre ange gardien n’incline pas toujours sensiblement votre coeur à vouloir, lors même qu’il éclaire votre entendement. Ne vous promettez donc pas toujours, pour agir, la douceur sensible de son secours, puisque la raison et l’entendement vous suffisent. 175. Quand les affections de notre coeur se porte vers quelque autre objet que Dieu, elles rendent notre âme insensible et comme fermée à la lumière que les bons anges s’efforcent de lui communiquer pour l’exciter à la vertu. 176. Dès que vous sentez votre coeur ému de la jouissance des biens créés, rappelez-vous combien il est vain, périlleux et funeste de se réjouir d’autre chose que de servir Dieu; et considérez quel malheur ce fut pour les anges que de se réjouir et de se complaire en leur beauté et leurs dons naturels, puisque c’est par là qu’ils tombèrent, privés de toute beauté, au fond des abîmes. 177. L’âme sans maître est comme un charbon embrasé mais demeuré seul, et qui va dès lors se refroidissant loin de s’embraser davantage. 178. L’âme qui voudrait demeurer sans l’appui d’un maître et d’un guide, serait comme un arbre solitaire, abandonné dans la campagne sans maître et sans gardien. En vain se trouve-t-il chargé de fruits! Le voyageur les cueille, avant qu’ils parviennent à maturité. 179. L’arbre bien cultivé, et fidèlement gardé par un maître plein de vigilance, donnera en son temps les fruits que l’on attendait de lui. 180. Celui qui vient à tomber, étant seul, reste seul étendu à terre, et fait bien peu de cas de son âme, ne lui donnant d’autre appui que lui seul. 181. Celui qui tombe, étant chargé, se relève difficilement, s’il est seul, avec son fardeau. 182. Celui qui fait une chute, étant aveugle, ne s’en relèvera pas seul; ou s’il parvient à se relever seul, il ne retrouvera pas seul le droit chemin. 183. Vous qui ne craignez pas de tomber étant seul, comment vous flattez-vous de vous relever seul? Considérez combien deux hommes unis sont plus forts qu’un seul! 184. Jésus n’a pas dit dans son évangile: Je serai là où se trouvera un homme seul; mais là où se trouveront au moins deux ensemble; pour nous faire entendre que personne ne se donne à soi-même sa créance et ne s’affermit dans sa foi aux choses de Dieu; mais que chacun doit se régler suivant le conseil et la direction de la Sainte Eglise et de ses ministres. 185. Malheur à qui est seul, dit le Saint-Esprit! Aussi la direction d’un maître est-elle nécessaire à toute âme; et deux résisteront plus facilement ensemble au démon, unissant leurs forces pour voir et agir selon la vérité. 186. Dieu aime tellement que l’homme soit gouverné par un autre homme, qu’il ne veut pas absolument que nous donnions pleine créance aux communications surnaturelles, avant du moins qu’elles aient passé par le canal et le filtre d’une bouche humaine. 187. Quand Dieu favorise quelque âme d’une révélation surnaturelle, il l’incline à en faire part à l’un des ministres de la Sainte Eglise qu’il a mis en sa place. 188. Il n’appartient pas au premier venu de diriger les âmes. Car c’est chose trop grave d’aller droit au but ou de s’égarer en pareille affaire! 189. L’âme qui désire marcher en avant, sans risque de jamais revenir en arrière, doit bien examiner en quelles mains elle se remet; car on a bien raison de dire: tel maître, tel disciple! et tel père, tel fils! 190. Les inclinations du maître et ses affections s’impriment facilement dans l’âme du disciple. 191. Dans la vie spirituelle, le principal soin d’un bon maître doit être de mortifier les inclinations de ses disciples, en leur apprenant à se dépouiller de tout ce qui fait l’objet de leurs désirs, afin de les rendre entièrement libres d’une si extrême misère. 192. Si haute que soit la doctrine, si parée que soit l’éloquence, et si brillant que soit le style qui la recouvre, elle n’agira guère sur les âmes que suivant le degré d’esprit intérieur du maître qui l’enseigne. 193. Le beau style et le geste, la haute doctrine et l’éloquence ont plus d’énergie et d’action sur l’âme quand l’esprit de Dieu les accompagne; mais sans lui, quelque charme et quelque goût délicieux que puissent y trouver l’oreille et l’esprit, la volonté n’en ressentira que bien peu, ou peut-être même point du tout d’ardeur et de flamme. 194. Dieu ne saurait voir de bon oeil ceux qui enseignent sa loi sans la garder, et qui prêchent un bon esprit sans le posséder. 195. Pour atteindre à ce qu’il y a de plus élevé dans les voies de la perfection, ou même à une hauteur médiocre, on ne trouvera pas sans peine un guide capable, qui réunisse toutes les conditions requises, c’est-à-dire savant, discret, expérimenté. 196. Bien que, pour servir de guide à une âme, la condition fondamentale soit d’avoir la science et la discrétion, toutefois un directeur sans expérience ne saura mener une âme par la vraie voie où Dieu l’appelle, et la fera retourner en arrière, en l’enchaînant à des moyens d’un ordre inférieur, qu’il aura trouvés dans des livres. 197. Le guide téméraire qui, étant obligé par son office de mener les âmes droit au but, aura fait fausse route, n’échappera pas au châtiment, suivant le dommage dont il sera cause: parce que les choses de Dieu doivent être traitées avec beaucoup de circonspection et de prudence; surtout quand il s’agit d’un état aussi relevé que la contemplation des choses divines. 198. Quel est le maître qui saura, suivant l’exemple de saint Paul, se faire tout à tous pour les gagner tous? Et qui connaîtra toutes les voies par lesquelles Dieu mène les âmes? Voies si différentes que c’est à peine si l’on trouvera un seul esprit dont la direction intérieure soit de moitié conforme à celle d’un autre. 199. Le plus grand honneur que nous puissions rendre à Dieu, c’est de le servir selon toute la perfection évangélique; et le reste n’est vraiment pour l’homme d’aucune valeur et d’aucun fruit. 200. Mieux vaut une seule pensée de l’homme que le monde entier; et Dieu seul est digne de notre pensée, qui lui est due; et toute pensée de l’homme qui ne se rapporte point à Dieu est un vol fait à Dieu. 201. En toute chose la nature demande une juste proportion. Ainsi les êtres insensibles ne réclament point ce qui est senti; mais les sens veulent un objet sensible; et l’esprit de Dieu veut être l’esprit de nos pensées. 202. Ne permettez jamais que votre coeur se répande au dehors, ne fût-ce que l’espace d’un credo! 203. Sans le secours de l’oraison, l’âme ne saurait triompher des forces du démon; et elle ne peut découvrir ses pièges, si elle n’est humble et mortifiée; car les armes de Dieu sont l’oraison et la croix de Jésus. 204. Dans tous nos besoins, dans toutes nos peines, dans toutes nos difficultés, il n’est point pour nous de secours meilleur et plus sûr que l’oraison et l’espérance que Dieu daignera pourvoir à tout, par les moyens qui lui plairont. 205. Que Dieu soit l’époux et le bien-aimé de votre âme! Ayez-le toujours et en tout présent; et par cette vue, vous éviterez les péchés, vous apprendrez ce que c’est qu’aimer; et tout vous réussira heureusement. 206. Entrez dans votre intérieur, et travaillez-y toujours en présence de Dieu, l’époux de votre âme, que vous y trouverez toujours vous faisant du bien. 207. Efforcez-vous toujours d’avoir Dieu présent, et de conserver en votre âme la pureté qu’il vous demande. 208. L’oraison chasse la sécheresse, augmente en notre âme la dévotion, et lui fait produire les fruits de l’exercice intérieur des vertus. 209. Ne point arrêter ses regards sur les défauts d’autrui, garder le silence, et s’entretenir perpétuellement avec Dieu, voila le sûr moyen de dégager notre âme de grandes imperfections, et de lui faire acquérir de grandes vertus. 210. Quand l’oraison se passe dans une pure et simple intelligence de Dieu, elle semble bien courte à l’âme, quelque long temps qu’elle ait duré; et c’est de cette oraison qu’il est dit: l’oraison pénètre les cieux. 211. Il ne faut appliquer nos sens et nos puissances aux objets créés que dans la mesure nécessaire, les désoccupant de tout le reste pour Dieu. 212. L’âme doit se contenter d’une attention pleine d’amour pour Dieu, sans aspirer à sentir ou entendre telle ou telle chose en particulier de Dieu. 213. Efforcez-vous d’arriver à cet état où toutes les créatures ne seront plus pour vous d’aucune importance, ni vous pour elles; afin que, dans l’oubli de toutes, vous soyez seul avec votre Dieu, dans le secret de votre retraite. 214. Celui qui ne se laisse pas emporter à ses désirs, prendra son vol aussi légèrement que l’oiseau qui n’a pas perdu une seule plume. 215. Ne cherchez l’aliment de votre esprit qu’en Dieu; détournez votre attention de tout ce qui passe; et conservez toujours le recueillement et la paix du coeur. 216. Si vous désirez parvenir au saint recueillement, fermez avec soin l’accès de votre âme. 217. Cherchez en lisant, et vous trouverez en méditant; appelez en priant, et vous entrerez en contemplant. 218. La véritable dévotion, la vraie vie spirituelle consiste à persévérer dans l’oraison avec patience et humilité, se défiant de soi et désirant uniquement plaire à Dieu. 219. Ceux-là invoquent vraiment Dieu, qui demandent à Dieu des choses vraiment dignes de sa grandeur, comme tout ce qui touche à notre salut. 220. Pour obtenir que nos demandes et les désirs de notre coeur soient exaucés, il n’y a pas de moyen plus sûr que d’employer toute la force et l’ardeur de notre prière à demander ce qui sera le plus au goût de Dieu même; et il ne nous donnera pas alors seulement le salut que nous demandons, mais encore tout ce qu’il saura convenir à notre âme, lors même que nous ne le demanderions pas, et que nous n’en aurions pas même la pensée. 221. Toute âme doit se persuader que, si Dieu ne la secourt pas sur le champ, et dès qu’elle le prie, il ne laissera pas de la secourir en temps opportun, pourvu qu’elle ne perde point courage et ne cesse pas de l’invoquer. 222. Quand notre volonté met à profit toutes joies sensibles pour s’élever à se réjouir en Dieu et faire oraison, elle ne doit pas rejeter ce moyen, mais bien plutôt en tirer parti pour s’avancer dans ce saint exercice: parce qu’alors les choses sensibles servent à la fin pour laquelle Dieu les a créées, qui est de le faire mieux connaître et mieux aimer. 223. L’âme dont les sens sont purifiés et soumis à l’esprit, tire de toutes choses sensibles, même de leurs premières impressions, les délices d’une savoureuse présence de Dieu et d’une très douce contemplation. 224. Puisqu’il est vrai, en bonne philosophie, qu’à l’excellence d’un être vivant répond l’excellence de sa vie, celui qui faisant mourir en lui la vie animale, a spiritualisé complètement son être et sa vie, peut désormais sans opposition être tout entier avec Dieu. 225. L’âme dévouée à Dieu s’attache surtout de coeur et de volonté à l’invisible; et elle n’a besoin que de bien peu d’images, et encore d’images qui lui reflètent le divin, bien plus que l’humain; les conformant et se conformant elle-même bien plus à la condition du siècle futur que du siècle présent. 226. Ce qu’il nous faut surtout chercher dans les images, c’est la dévotion et la foi. Sans ces deux fruits, à quoi servirait l’image? Oh! quelle vive image offrait notre divin Sauveur au milieu du monde! Et cependant tous ceux qui ne le contemplaient pas avec foi, avaient beau vive près de lui et voir ses oeuvres merveilleuses; ils n’en retireraient aucun fruit. 227. Appliquez-vous à une seule chose qui amène tout avec elle: c’est de chercher la solitude pour vous livrer à l’oraison et pour écouter la leçon divine. Persévérez-y, dans l’oubli de tout objet créé. Car à moins que vous ne soyez tenu par devoir à vous occuper de quelque autre chose, vous plairez bien plus à Dieu par le soin de recueillir votre âme et de la rendre parfaite, que par l’acquisition de toutes les richesses de la création. Que sert à l’homme en effet de gagner l’univers, s’il vient à perdre son âme? 228. Un esprit parfaitement pur n’admet aucun mélange d’idées étrangères et de respects humains. Mais seul, et s’isolant de toutes les formes créées, au plus intime de lui-même, en un calme plein de douceur, il communique avec son Dieu, et le connaît dans un divin silence. 229. Choisissez pour faire oraison, le lieu où vos sens seront moins distraits, et votre esprit moins embarrassé pour aller à Dieu. 230. Ne cherchez point pour l’oraison, à l’exemple de quelques-uns, un lieu qui charme et ravisse les yeux; de peur qu’au lieu de recueillir votre âme, il serve bien plutôt à flatter vos sens. 231. Celui qui entreprend un pèlerinage, fera bien d’aller seul et sans se joindre à d’autres pèlerins, fût-ce en dehors des temps accoutumés. Mais quand il y va beaucoup de monde, je ne lui conseillerais pas de s’y rendre; car on en revient d’ordinaire plus dissipé qu’on y éta0t allé; et beaucoup font ces pèlerinages bien plus par récréation que par dévotion. 232. L’homme qui abandonne les exercices et interrompt le cours de son oraison, est semblable à celui qui, tenant en main un oiseau, le laisse s’envoler et ne le reprend ensuite qu’à grand peine. 233. Dieu étant ce qu’il est, et par conséquent inaccessible, l’âme ne doit s’arrêter à aucun objet que ses facultés puissent comprendre et ses sens percevoir; de peur que se contentant de ce qui est moindre, elle ne vienne à perdre l’élan et l’agilité dont elle a besoin pour aller à Dieu. 234. Gardez-vous de donner accès en votre âme à quelque objet qui ne soit pas uniquement et totalement spirituel; de peur qu’il ne vous fasse perdre le goût de la dévotion et du recueillement. 235. L’homme dont la volonté est attachée à quelque objet sensible, ne sera jamais vraiment spirituel; et ceux-là se trompent qui s’imaginent, à l’aide et par la vertu des sens, atteindre à la force de l’esprit. 236. En cherchant le goût des douceurs sensibles dans l’oraison, les âmes imparfaites perdent la véritable dévotion. 237. La mouche dont l’aile a touché le miel, a le vol moins libre; et l’âme qui s’attache aux goûts spirituels, perd de sa liberté pour la contemplation. 238. L’âme qui n’est pas disposée à prier en tout lieu, mais dans celui-là seulement qui est de son goût, manquera bien souvent à la grâce de l’oraison; car elle ne sait lire, dit le proverbe, que dans le livre de son village. 239. Celui qui ne se sent pas l’esprit assez libre, par rapport aux objets et aux douceurs sensibles, pour y trouver toujours de nouveaux moyens d’oraison, mais dont la volonté s’y laisse attacher et entraîner, en éprouvera un grand dommage, et devrait autant que possible s’en interdire l’usage, pour aller à Dieu. 240. Celui-là serait vraiment insensé qui, privé des douceurs et des goûts spirituels, croirait être par là éloigné de Dieu, et se réjouirait au contraire dans la pensée qu’il a retrouvé Dieu en les retrouvant. 241. Beaucoup de ceux qui font profession de vie spirituelle, s’accordent la jouissance des biens sensibles, sous le spécieux prétexte de mieux s’adonner à l’oraison et de mieux élever ainsi leur coeur vers Dieu. Mais ils le font de telle manière que tout cela mérite bien plutôt le nom de récréation que d’oraison; et l’âme y cherche bien plus son goût que celui de Dieu. 242. La méditation doit aboutir à la contemplation comme à sa fin; et de même que, la fin une fois obtenue, l’usage des moyens cesse d’être utile; de même que le voyageur, parvenu au terme qu’il voulait atteindre, se repose; ainsi quand l’âme est arrivée à l’état de contemplation, elle doit suspendre l’exercice de la méditation. 243. Comme il est convenable, pour aller à Dieu, de laisser en temps opportun les actes discursifs et l’exercice de la méditation, qui seraient alors pour l’âme un obstacle; il faut aussi ne pas abandonner trop tôt la méditation, sous peine de retourner bien vite en arrière. 244. On peut reconnaître à trois signes une âme arrivée à l’état de contemplation et de recueillement intime: premièrement, si elle ne trouve plus de goût dans les choses qui passent; secondement, si elle persévère dans la solitude et dans le silence, cherchant toujours le plus parfait; troisièmement, si les actes de la méditation et les réflexions, au lieu de l’aider comme auparavant, ne font plus que l’embarrasser. Mais il faut que ces trois signes soient réunis. 245. Quand l’âme commence à entrer dans l’état de contemplation, cette connaissance amoureuse des choses de Dieu se laisse à peine reconnaître: d’abord parce qu’elle est très subtile, très délicate, presque insensible; et puis parce que l’âme était habituée jusque-là au premier exercice de la méditation, qui est plus sensible. 246. Plus l’âme s’établira dans la paix, et plus s’augmentera en elle cette connaissance amoureuse que donne la contemplation; et plus elle la sentira et la goûtera, de préférence à toute autre chose, y trouvant la paix, le repos, la suavité et la jouissance sans effort. 247. Ceux qui arrivent à l’état de contemplation, ne doivent pas croire que désormais il ne leur convient plus de recourir à la méditation et d’en exercer les différents actes. Car, dans les premiers temps, ils ne possèdent pas encore une habitude assez parfaite de la contemplation, pour en user dès qu’ils le désirent; et ils n’ont pas tellement oublié les exercices de la méditation, qu’il ne leur soit quelquefois utile d’y recourir, comme ils avaient coutume de le faire. 248. Hors le temps consacré à la contemplation, l’âme doit faire son possible pour s’entretenir, tout en agissant, de saintes pensées; et elle agira ainsi avec plus de dévotion et plus de fruit; très particulièrement si elle s’occupe de la passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, afin de conformer sa vie à celle de son Sauveur. 249. Dans le passereau solitaire, nous devons remarquer cinq choses: la première, qu’il se retire sur les points les plus élevés; la seconde, qu’il ne souffre point de compagnon, même de son espèce; la troisième, qu’il tourne son bec du côté du vent; la quatrième, qu’il n’a pas de couleur déterminée; la cinquième, que son chant est plein de douceur. Or telle doit être l’âme contemplative: car il faut d’abord qu’elle s’élève au-dessus de tout ce qui se passe, n’en faisant pas plus de cas que s’il n’existait point. Puis elle doit tant aimer la solitude et le silence, qu’elle ne souffre la compagnie d’aucune autre créature. Elle doit se tourner et ouvrir sa bouche au souffle de l’Esprit-Saint, afin de correspondre à ses inspirations et à ses désirs, et de se rendre ainsi plus digne de sa divine compagnie. Elle n’a point de couleur déterminée, ne se déterminant à autre chose qu’à ce que la volonté de Dieu lui demandera. Enfin, son chant doit être plein de douceur, dans la contemplation et l’amour de Dieu. 250. Bien que l’âme élevée jusqu’au sommet de la contemplation, et dans une très simple vue de la divinité, vienne parfois à oublier l’humanité très sainte de Jésus-Christ, parce que Dieu, de sa propre main, l’élève à cet état de connaissance toute surnaturelle; jamais cependant elle ne doit, en aucune manière, désirer un pareil oubli. Car la contemplation et l’amoureuse méditation de cette très sainte humanité l’aidera, au contraire, à monter plus facilement au plus haut degré de l’union; Jésus Notre-Seigneur étant la vérité, la porte, la voie et le guide pour arriver à la possession de tous les biens. 251. Le chemin de la vie n’exige pas beaucoup de savantes combinaisons et d’agitations. Il demande moins de science que de renoncement à sa volonté propre. Mais celui qui s’attache à la douceur des choses sensibles, n’avancera guère dans cette voie. 252. Celui qui ne cherche de goûts et de joies sensibles ni en Dieu ni dans les créatures, et qui ne suit sa volonté propre en aucune chose, ne risque pas de trébucher. 253. Quoique vous entrepreniez de grandes choses, si vous ne savez renoncer à votre volonté propre et l’assujettir, vous oubliant vous-même et tout ce qui vous touche, vous n’avancerez point dans la voie de la perfection. 254. Laissez-vous enseigner; laissez-vous commander; laissez-vous mener et assujettir: et vous serez parfait. 255. Dieu voit avec plus de plaisir l’âme qui, parmi les désolations et les sécheresses, livre et soumet sa volonté à celle d’autrui, que l’âme qui, en dehors de l’obéissance, accomplirait toutes ses oeuvres en toute joie spirituelle et suavité. 256. Dieu aime mieux en vous le moindre degré d’obéissance et de sujétion, que tout service que vous pensez lui rendre. 257. L’assujettissement et l’obéissance sont le sacrifice de la raison et du jugement; et voilà pourquoi c’est le sacrifice le plus agréable à Dieu, bien préférable à toutes les rigueurs de la pénitence corporelle. 258. La pénitence corporelle sans obéissance est très imparfaite. Les commençants, il est vrai, s’y sentent portés par la consolation et le goût qu’ils y trouvent; mais s’ils y font leur volonté propre, ils s’exposent à croître bien plutôt en vices qu’en vertus. 259. A suivre votre volonté, vous trouverez double amertume; gardez-vous donc de la chercher, fallût-il rester dans l’amertume. 260. Le démon prévaut facilement sur ceux qui marchent seuls et se dirigent par leur volonté propre dans les choses de Dieu. 261. Mieux vaut porter une plus lourde charge avec l’aide d’un fort, qu’une moins lourde avec l’aide d’un faible. Or, quand vous supportez le poids des afflictions, vous êtes avec Dieu qui est votre force, et se tient près de ceux qui sont dans la tribulation. Mais quand vous n’en êtes pas chargé, vous demeurez seul avec vous, c’est-à-dire avec la faiblesse même. Aussi la force et la vertu de l’âme croissent et se fortifient dans les travaux. 262. Considérez combien votre chair est faible, et comme rien des choses du monde ne peut donner à votre esprit force et consolation. Tout ce qui naît du monde est monde; et ce qui naît de la chair est chair; et le bon esprit naît uniquement de l’esprit de Dieu, qui ne se communique ni par le monde ni par la chair. 263. Voyez comment la fleur la plus délicate se flétrit la première et perd le plus tôt son parfum. Ainsi faut-il vous garder avec soin de vouloir marcher par la voie des consolations et des goûts spirituels; car vous manqueriez de constance dans cette voie. Mais préférez un esprit mâle et ferme, qui ne soit attaché à rien; et vous y trouverez en abondance la douceur et la paix; car les fruits doux, savoureux, et qui se conservent, mûrissent dans des terres froides et sèches. 264. Bien que le chemin soit uni et doux pour les âmes de bonne volonté, on ne peut toutefois y marcher longtemps et sans fatigue, si les pieds ne sont fermes, et si l’on manque de persévérance. 265. Ne cherchez pas votre nourriture dans des pâturages défendus, tels que les plaisirs de cette vie. Mais bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés. 266. Celui-là est vraiment vainqueur de toutes les choses d’ici-bas, qui n’est plus ému ni d’aucune joie quand il les possède, ni d’aucune tristesse de leur absence. 267. Avec le don de force, l’âme accomplit les oeuvres des vertus et triomphe des vices. 268. Que votre coeur soit fort contre tout ce qui le porterait vers un autre objet que Dieu; et pour le rendre fort, aimez à contempler les souffrances de Jésus-Christ. 269. Réjouissez-vous sans cesse en Dieu, qui est votre salut; et considérez combien il est doux de souffrir ce que nous envoie celui qui est vraiment et uniquement bon. 270. Dieu estime bien plus en vous l’acceptation volontaire de la sécheresse et de la souffrance pour son amour, que toutes les consolations, visions et contemplations, dont vous pourriez jouir. 271. Ne laissez jamais, pour bien ni pour mal, d’apaiser votre coeur et de l’incliner, avec des entrailles d’amour, à souffrir pour Dieu tout ce qui pourra se présenter. 272. Il ne faut pas mesurer les travaux sur notre faiblesse, mais nos efforts sur nos travaux. 273. Si les âmes savaient le prix de la souffrance et de la mortification, pour acquérir les biens de l’ordre le plus élevé, jamais elles ne chercheraient leur consolation en aucune chose. 274. Quand une âme a plus de patience pour souffrir et plus de courage à supporter la privation de toute joie sensible, c’est un signe assuré de son avancement dans la vertu. 275. La voie de la souffrance est bien plus sûre et plus féconde que celle de la jouissance et de l’action. Car notre âme, dans la souffrance, reçoit une participation de la force de Dieu; tandis que l’action et la jouissance s’accommodent bien mieux avec ses imperfections et sa faiblesse; et de plus la souffrance lui fait acquérir et exercer des vertus qui la purifient et la rendent plus sage et plus prudente. 276. L’âme qui n’est pas exercée par les tentations et les souffrances, ne saurait élever et régler son sens intérieur, comme le demande la vraie sagesse. Car, comme il est dit au livre de l’Ecclésiastique, “celui qui n’est pas tenté, que sait-il?” 277. Plus la souffrance est pure et sans mélange, plus elle enrichit l’âme de la pure intelligence des choses de Dieu. 278. L’âme qui se recueille et se retire de la délectation des choses sensibles, s’affranchit de la distraction où la jetait l’usage trop libre de ses sens; et par là, se conserve en elle et s’accroît l’esprit intérieur qui l’unit à Dieu, et l’exercice des vertus. 279. L’homme qui se complaît à la jouissance du plaisir sensible, ne mérite pas d’autres noms que ceux d’homme sensuel, d’homme animal, d’homme du temps. Mais quand il dégage son coeur de toute satisfaction des sens, il mérite d’être appelé homme spirituel, céleste et divin. 280. Si vous vous refusez une satisfaction sensible, le Seigneur vous rendra le centuple dès cette vie, en joies spirituelles; au lieu que pour ce même plaisir accordé à vos sens, vous recueillerez au centuple ennui et dégoût. 281. Celui qui ne vit plus de la vie des sens, applique librement toute sa force et toute les puissances de son âme à la divine contemplation. 282. Quoique les biens sensibles puissent mériter que l’âme y trouve quelque goût, quand elle s’en sert pour aller à Dieu, ce fruit est néanmoins si peu assuré, que d’ordinaire, ainsi que nous le voyons, elle en retire plus de dommage que de profit. 283. Tant que l’homme n’a pas acquis une telle habitude de la mortification de tout goût sensible, que tout ce qui tombe sous les sens élève aussitôt son âme vers Dieu, il a besoin de renoncer à toute délectation sensible, pour dégager son âme de la vie des sens. 284. Le Père a dit une parole. C’est son Verbe et son Fils. Il la dit éternellement et dans un éternel silence. Et c’est dans le silence que l’âme l’entend. 285. Ce qui est le plus nécessaire pour notre avancement, c’est de faire taire nos inclinations et notre langage en présence de ce grand Dieu. Car le langage qu’il préfère est un amour silencieux. 286. Parlez peu; et lorsqu’on ne réclame pas votre avis sur tel ou tel sujet, ne vous en mêlez point. 287. N’écoutez jamais rien des faiblesses d’autrui. Et si quelqu’un vient se plaindre à vous de quelque faiblesse d’un autre, priez-le humblement de ne rien vous en dire. 288. Ne vous plaignez de personne. Ne demandez rien. Ou s’il vous faut absolument demander quelque chose, que ce soit en peu de paroles. 289. Ne contredites qui que ce soit; et ne vous permettez jamais une parole qui ne soit toute pure. 290. Quand vous parlerez, que ce soit de manière à n’offenser personne, et de choses que vous puissiez dire sans crainte devant qui que ce soit. 291. Conservez toujours la paix intérieure avec une attention amoureuse à Dieu; et s’il faut parler, faites-le avec la même attention et la même paix. 292. Gardez en silence le don de Dieu; et rappelez-vous cette parole de l’Ecriture: “mon secret est pour moi.” 293. N’oubliez point que, de toute parole proférée sans la direction de l’obéissance, Dieu vous demandera un compte rigoureux. 294. Converser avec le prochain plus qu’il n’est vraiment nécessaire et que la raison ne le demande, n’a jamais fait de bien à personne, quelque saint qu’il fût. 295. Une âme ne saurait faire le progrès qu’en agissant et souffrant en silence. 296. Pour avancer dans la vertu, il faut surtout savoir
se taire et agir; car parler nous distrait mais le silence et le travail 297. Dès qu’on a dit à quelqu’un ce qu’il lui faut pour son avancement spirituel qu’il n’en demande pas davantage; mais au lieu de parler, qu’il se mette à l’oeuvre pour tout de bon et en silence, veillant à se maintenir dans l’humilité, la charité, le mépris de soi-même. 298. L’âme prompte à parler et à se répandre au dehors est bien peu attentive à Dieu. Mais à mesure qu’elle le sera, elle se sentira fortement attirée, au dedans d’elle-même, à se taire et à fuir n’importe quelle conversation. 299. Dieu veut que notre âme trouve en lui sa joie, et non en aucune créature, quelque parfaite et excellente qu’elle puisse être. 300. La première chose nécessaire à l’âme, pour parvenir à la connaissance de Dieu, c’est la connaissance d’elle-même. 301. Dieu se complaît bien plus à de petites oeuvres, faites dans le secret et la solitude, sans désir d’être vu, qu’à une multitude de grandes oeuvres, faites avec le désir du regard des hommes. 302. Celui qui manifeste aux hommes le bien qui était caché dans sa conscience, en perd le mérite avec le secret; et la vaine gloire des hommes sera sa récompense. 303. L’esprit de sagesse divine qui habite dans une âme humble, l’incline à garder son trésor secret, et à rejeter tout mal dehors. 304. La perfection de l’âme ne consiste pas dans les vertus que chacun trouve en soi, mais dans celles que l’oeil de Dieu y reconnaît comme véritables; et tout cela est si caché au regard des hommes, que l’âme ne trouve en elle-même aucun sujet de se glorifier, mais bien des sujets de trembler. 305. Ce qui gagne à une âme le coeur de Dieu, ce n’est pas la vue de sa grandeur, mais de la grandeur du mépris qu’elle a d’elle-même et de sa profonde humilité. 306. Ce que vous désirez le plus, et ce que vous cherchez avec plus de sollicitude, vous ne sauriez l’atteindre par vous-même et par la plus haute contemplation, mais par une humilité plus profonde et par l’abaissement de votre coeur. 307. S’il vous vient en pensée de vous glorifier de vous-même, dépouillez-vous d’abord de tout ce qui ne vous appartient pas. Or tout ce qui restera n’étant que néant, de quoi pourrez-vous tirer quelque gloire? 308.Ne méprisez pas votre prochain parce qu’il vous semble dépourvu des vertus que vous espériez trouver en lui; car peut-être est-il agréable à Dieu pour d’autres raisons que vous ignorez. 309. Ne vous excusez point; mais recevez toute réprimande avec un visage serein, pensant qu’elle vous vient de Dieu. 310. Tenez pour une pure grâce de Dieu qu’on vous dise parfois quelque bonne parole; car vous ne la méritez point. 311. Ne vous arrêtez ni peu ni beaucoup à regarder qui est pour ou contre vous. Mais efforcez-vous sans relâche de plaire à Dieu; demandez-lui que sa volonté s’accomplisse; aimez-le beaucoup; vous le lui devez bien. 312. Aimez à rester inconnu et de vous et des autres; et ne cherchez pas à savoir le bien ou le mal d’autrui. 313. N’oubliez jamais la vie éternelle; mais considérez le très haut degré de joie et de gloire où tant d’âmes sont parvenues, pour avoir été méprisées, humbles et pauvres à leurs propres yeux. 314. Pour mortifier en nous sérieusement le désir de l’honneur, source de tant d’autres désirs déréglés, la première chose à faire est de travailler à nous abaisser, et de désirer que les autres nous traitent de même; la seconde est de parler de nous avec un vrai mépris, et de désirer que les autres parlent de même; la troisième est de bien connaître notre bassesse, considérant combien nous sommes en effet dignes de mépris, et de désirer que les autres pensent de même. 315. L’humilité de notre âme et sa soumission, à l’égard du maître spirituel qui la dirige, lui communiquant tout ce qui se passe entre Dieu et nous, est une source de lumière, de paix, de joie et de sécurité. 316. La vertu ne consiste pas dans la lumière et dans le goût de Dieu, quelque élevés qu’ils soient, ni en rien de ce qui peut tomber sous le sens de l’âme; mais dans ce qu’il y a de plus contraire à tout goût sensible, une profonde humilité, un mépris extrême de soi-même et de toutes les choses auxquelles notre âme se sent le plus attachée. 317. Toutes les vues de Dieu, les révélations, les sentiments des choses célestes, bien que justement en très haute estime aux yeux de l’homme spirituel, ne sauraient valoir cependant le moindre acte d’humilité; car l’humilité produit en nous les mêmes effets que la charité, dont le propre est de ne point attacher son coeur à ses intérêts, mais à ceux d’autrui. 318. Les communications vraiment divines ont ce caractère qui leur est propre, d’humilier l’âme et de l’élever tout à la fois. Car, dans cette voie, descendre c’est monter, et monter c’est descendre. 319. Le propre des faveurs et des communications vraiment divines est d’imprimer en l’âme une aversion profonde pour tout ce qui tend à l’élever, tout ce qui concerne sa propre excellence, et de lui donner au contraire beaucoup de facilité et de promptitude pour tout ce qui peut l’abaisser et l’humilier. 320. Dieu a tellement horreur de voir les âmes s’incliner à l’amour de l’élévation, que même quand sa divine Majesté la leur impose, elle ne veut point que le coeur soit prompt et se plaise à commander. 321. Tout au contraire, quand les faveurs et les communications spirituelles viennent du démon, elles donnent à l’âme beaucoup de facilité et de promptitude pour tout ce qui est grand et semble avoir du prix, et beaucoup d’aversion pour toute oeuvre humble et basse. 322. L’âme qui aime les grandeurs, les emplois élevés, le libre assouvissement de ses désirs, est aux yeux de Dieu, non pas un enfant de condition libre, mais le vil esclave de ses passions. 323. L’âme qui n’est pas humble, se laisse aisément tromper par le démon, qui lui fait croire mille mensonges. 324. Il y a, de nos jours, beaucoup de chrétiens, qui ont quelques vertus et font de grandes choses; et tout cela ne leur servira cependant de rien pour la vie éternelle, parce qu’ils n’y recherchent point l’honneur et la gloire de Dieu seul, mais la vaine satisfaction de leur volonté. 325. La vaine joie des bonnes oeuvres ne va pas sans leur vaine estime; et de là naissent les sentiments et les paroles de jactance que l’évangile nous fait remarquer dans le pharisien. 326. Telle est, en ce point, l’extrême misère des enfants des hommes, que je tiens pour certain que la plupart des oeuvres faites en public seront viciées et ne vaudront rien, ou du moins seront très imparfaites et défectueuses devant Dieu, le coeur n’ayant pas été libre et pur de tout intérêt et respect humain. 327. Ô âmes créées de Dieu et appelées par lui à tant de grandeurs! Que faites-vous? A quoi vous occupez-vous? Ô aveuglement misérable des fils d’Adam! Ne pas voir, au milieu de tant de lumière! Ne pas entendre une voix si puissante! Plus vous cherchez la grandeur et la gloire, plus vous demeurez misérables et vils, et indignes de tant de biens! 328. S’il est jamais permis de se complaire en ses richesses, c’est lorsqu’on les prodigue au service de Dieu; car on ne saurait en tirer un autre profit. Et il en faut dire autant de tout autre bien temporel, tel que titres, charges, dignités humaines, et le reste. 329. L’homme spirituel doit veiller avec une extrême attention à ne pas laisser peu à peu son coeur s’attacher aux choses qui passent; car cet amour croîtrait insensiblement, de degré en degré; et ce qui d’abord semblait n’être rien, atteindrait de vastes proportions et deviendrait la cause d’un grand dommage; comme une étincelle suffit pour embraser enfin toute une montagne. 330. Ne vous fiez jamais sur ce que vous n’êtes retenu que par un fil; mais brisez-le de suite, en vous disant qu’il faudrait le briser plus tard. Car si dès le début, et pendant que l’attache est si faible encore, vous ne vous sentez pas le coeur de le rompre, comment présumeriez-vous le pouvoir faire, quand elle sera plus forte et invétérée? 331. Celui qui évite les petites fautes ne tombera pas dans de plus grandes. Mais les plus petites sont souvent la cause d’un très grand mal, une fois que l’entrée du coeur est ouverte et que le rempart est entamé. Car toute besogne commencée est à moitié faite, dit le proverbe. 332. La jouissance trouble le jugement, comme le brouillard trouble la vue. Or l’âme ne goûte point de jouissance volontaire, quand elle n’a pas de volonté propre. Mais si le coeur est pur et libre des joies humaines, le jugement redevient lumineux, comme l’atmosphère lorsque les vapeurs se dissipent. 333. L’âme dégagée des choses créées n’est distraite et troublée ni dans l’oraison ni hors de l’oraison; et ainsi, sans perdre de temps, elle acquiert aisément de grandes richesses spirituelles. 334. A la vérité, les biens temporels ne sont point par eux-mêmes cause nécessaire de péché. Mais comme le plus souvent, et par sa faiblesse naturelle, le coeur de l’homme, s’attachant à ces biens, se détache de Dieu, ce qui est un péché, le sage a dit avec raison que le riche n’est pas exempt de péché. 335. Ce ne sont pas les choses de ce monde qui s’emparent de l’âme et la ruinent, puisqu’elles ne sauraient pénétrer dans l’âme; mais c’est notre volonté propre et notre affection, qui cherchent en elles leur repos. 336. Jésus Notre-Seigneur appelle les richesses des épines dans l’évangile, pour nous faire entendre que l’âme qui s’y attache volontairement, y sera blessée de quelque péché. 337. Ce n’est pas un moins vain désir, que celui d’avoir des enfants; désir si vif en quelques uns qu’il leur ferait remuer le ciel et la terre. Car ils ne savent ni si ces enfants seront bons et serviront Dieu fidèlement, mi si le bonheur qu’ils en espèrent ne se changera pas en douleurs et en afflictions. 338. L’âme esclave de ses désirs ne fait que s’agiter en tout sens, dans le filet auquel son coeur s’est pris; et malgré ses efforts elle a grand’peine, même pour un moment, à le dégager des pensées importunes qui l’embarrassent. 339. Considérez combien il est nécessaire de travailler à vous dompter vous-même, et de marcher généreusement dans la voie de la pénitence, si vous voulez atteindre à la perfection. 340. Si quelqu’un cherchait à vous suggérer des maximes larges, fit-il des miracles, ne le croyez point; mais redoublez bien plutôt de pénitence et de détachement des choses créées. 341. Dieu ordonna, dans l’ancienne loi, que l’autel, où devaient s’offrir les sacrifices, fût creux et vide à l’intérieur; pour nous faire comprendre, par ce symbole, combien que notre âme soit vide de toutes les choses créées, afin qu’elle devienne un autel digne de la présence de la divine Majesté. 342. Dieu n’approuve et ne veut dans l’âme où il habite, qu’un seul désir, le désir de garder parfaitement sa loi et de porter la croix de Jésus-Christ; comme la sainte Ecriture nous apprend que, dans l’arche, où était conservée la manne, Dieu voulût qu’on mît seulement le livre de la loi, avec la verge de Moïse image de la croix. 343. L’âme qui n’a d’autre désir que de garder parfaitement la loi du Seigneur et de porter la croix de Jésus-Christ, deviendra l’arche véritable où se trouvera la vraie manne qui est Dieu. 344. Si vous voulez que la dévotion naisse en votre coeur, et que l’amour de Dieu y croisse de plus en plus avec l’affection aux choses divines, il faut avant tout purifier votre âme de tous ses appétits déréglés et de tous ses désirs. Car de même que le malade, une fois qu’il a rejeté toute humeur maligne, sent aussitôt revenir la santé, ainsi que l’appétit qu’il avait perdu; de même l’âme purifiée retrouve sa santé et le goût de Dieu. Mais sans ce moyen vous auriez beau faire: nul autre ne vous réussira. 345. Vivez en ce monde comme s’il n’y avait
que Dieu et votre âme, afin que rien n’enchaîne votre
coeur. 347. Si vous désirez parvenir au saint recueillement, n’ajoutez pas, mais retranchez. 348. Ayez intérieurement le coeur dégagé de toute chose, et ne mettez votre affection en rien de temporel; et votre âme recueillera des trésors que vous ne connaissez pas. 349. Les trésors immenses de Dieu ne peuvent être contenus que dans un coeur vide et solitaire. 350. Autant qu’il dépendra de vous, ne refusez rien de ce que vous avez, quelque besoin que vous en puissiez sentir. 351. Celui-là ne saurait arriver à la perfection, qui ne sait pas trouver la joie de son coeur et la satisfaction de tous ses désirs dans le vide de tout ce qui n’est pas Dieu. Et c’est une condition indispensable pour posséder la paix et la tranquillité de l’esprit. 352. Il faut que toujours règne dans votre âme la ferme volonté de vous porter, non à ce qui est plus facile, mais plus difficile; non à ce qui est plus doux, mais plus âpre; non à ce qui est plus savoureux, mais plus insipide; non à ce qui est plus haut et plus estimé, mais plus bas et plus méprisé; non à ce qui est plus grand, mais plus petit; non à ce qui est quelque chose, mais à ce qui n’est rien; non à ce qui est meilleur, mais à ce qui est pire; n’ayant d’autre désir que d’entrer, pour le seul amour de Jésus-Christ, dans la nudité, le vide, la pauvreté de tout ce qui existe en ce monde. 353. Si vous purifiez avec soin votre âme de toute propriété et de tout désir, vous comprendrez alors toutes choses selon l’esprit; et si vous refusez de mettre en elles votre affection, vous goûterez ce qu’elles ont de vrai, comprenant ce qu’il y a en elles d’assuré. 354. Vous jouirez d’un entier domaine sur tous les hommes, et toutes les créatures seront à votre service, si vous les oubliez et si vous vous oubliez vous-même. 355. Vous n’éprouverez plus alors d’autres besoins que ceux auxquels votre coeur voudra se soumettre; car le pauvre d’esprit trouve son contentement et sa joie a manquer de tout; et celui dont le coeur ne désire rien, est toujours au large. 356. Les pauvres d’esprit donnent libéralement tout ce qu’ils possèdent; et leur plaisir est de s’en passer pour Dieu et pour le prochain, se réglant en tout par la loi de la charité. 357. Le pauvre d’esprit se contente de la substance même de la dévotion, et sans rien chercher au delà de ce qui lui suffit, ne trouve dans la multiplicité des objets visibles que de la fatigue et de l’ennui. 358. Quand une âme s’est retirée du monde extérieur et dégagée de toute propriété, même de la douceur des choses divines, alors aucune prospérité ne l’enchaîne plus, aucune adversité ne peut l’abattre. 359. On revêt le pauvre, quand on le voit nu; et quand une âme se sera dépouillée de tout désir, sans se réserver de vouloir ou ne pas vouloir, Dieu la couvrira et l’enrichira de sa pureté, de sa joie, de sa volonté. 360. L’amour de Dieu dans une âme pure, simple et dénuée de tout désir propre, est pour ainsi dire toujours en acte, et s’accroîtra incessamment. 361. Renoncez à tout désir propre, et vous trouverez ce que demande votre coeur. Car comment sauriez-vous si votre désir est selon Dieu? 362. Si vous voulez trouver la paix avec la consolation de votre âme, et servir Dieu pour tout de bon, ne vous contentez pas de ce que vous avez déjà laissé; car peut-être; car peut-être, en la nouvelle voie où vous marchez, votre coeur se retrouvera aussi embarrassé, ou plus embarrassé même qu’auparavant; mais renoncez à tout ce qui vous reste encore. 363. Si cet exercice de renoncement, qui est le principal et comme la racine même des vertus, vient à vous manquer, toutes vos autres industries vous serviront peu; eussiez-vous de très hautes vues des choses divines, et les communications spirituelles les plus relevées. 364. Non seulement les biens terrestres, les joies et les délices des sens, nous embarrassent et nous retardent dans la voie de Dieu; mais les joies mêmes de l’esprit et les consolations célestes sont un obstacle à notre avancement, si nous les recherchons ou les recevons pour notre propre jouissance. 365. Les vains désirs de notre coeur sont de telle nature qu’ils cherchent toujours un objet auquel ils puissent s’attacher; semblables au ver qui ronge le bois, n’épargnant pas plus ce qui est sain que ce qui est malade.
Seigneur mon Dieu, mon bien-aimée, si le souvenir de mes péchés vous empêche de m’accorder ce que je demande, qu’il en soit fait, mon Dieu, selon votre volonté, qui est ce que je désire sur toute chose; et faites de moi l’objet de votre bonté et de votre miséricorde, afin que vos créatures vous y reconnaissent. Que si vous attendez mes oeuvres, pour m’accorder ainsi ce que je demande, donnez-les moi, Seigneur, opérez-les en moi, et joignez-y les peines que vous voudrez bien accepter de moi. Mais si vous n’attendez pas mes oeuvres, qu’attendez-vous, ô mon très miséricordieux Seigneur? Que tardez-vous? Si vous voulez enfin m’accorder cette grâce et cette miséricorde que je vous demande par votre Fils, prenez tout mon petit avoir, puisque vous le voulez; et donnez-moi ce bien, puisque vous le voulez aussi. Ô tout-puissant Seigneur, mon âme s’est desséchée, en oubliant de se nourrir en vous. Je ne vous connaissais pas, ô mon Seigneur, lorsque je voulais encore savoir et goûter quelque autre chose! Oh! qui pourra se délivrer des modes et des termes d’ici-bas, si vous ne l’élevez vous-même jusqu’à vous, dans la pureté de votre amour, ô mon Dieu? Vous revenez, Seigneur, relever avec joie et avec amour celui qui vous a offensé; et moi, je me refuse à relever et honorer celui qui m’invite! Comment pourra donc monter jusqu’à vous l’homme engendré, l’homme élevé dans une si profonde bassesse, si vous ne le relevez, ô Seigneur, de cette même main qui l’a créé? Ô tout-puissant Seigneur, si une étincelle de l’empire de votre justice a tant de force en un prince mortel, qui gouverne et meut les nations, que ne fera pas votre toute-puissante justice sur le juste et sur le pécheur? Seigneur mon Dieu, vous ne rejetez point celui qui ne vous rejette point. Comment les hommes disent-ils que vous vous éloignez, ô Seigneur mon Dieu? Quel est celui qui, vous cherchant avec un amour pur et simple, ne vous trouvera pas, et en vous son goût et sa volonté, ô vous qui, le premier , vous montrez et venez au devant de ceux qui vous désirent? Vous ne m’ôterez pas, ô Seigneur mon Dieu, ce que vous m’avez donné une fois, en la personne de Jésus votre Fils unique, en qui vous m’avez donné tout ce que je veux. Je me réjouirai donc dans la pensée que vous ne retarderez point, si je vous attends. Et que tardes-tu toi-même, ô mon âme, puisque dès à présent tu peux aimer Dieu en ton coeur! Les cieux sont à moi; la terre est à moi; les nations, à moi; les justes, à moi; les pécheurs, à moi! Les anges sont à moi; et la Mère de Dieu, et toutes les choses créées! Mon Dieu lui-même est à moi et pour moi, puisque Jésus-Christ tout entier est à moi et pour moi! Que demandes-tu donc et que cherches-tu encore, ô mon âme? Tout est à toi; tout est à toi; ne te rabaisse point! Ne t’arrête pas à quelques miettes tombées de la table de ton père! Lève-toi et glorifie-toi de ce qui fait ta gloire; cache-toi en elle et réjouis-toi; les désirs de ton coeur seront exaucés! Ô très doux amour de Dieu méconnu! Celui qui vous a trouvé se repose. Et que maintenant tout change, à la bonne heure, ô Seigneur mon Dieu, pourvu que je demeure avec vous et en vous! Que j’aille avec vous par où vous voudrez! Que j’aille avec vous par où vous voudrez; ce sera aussi par où je voudrai. Mon bien-aimé, tout pour vous, rien pour moi; mais rien pour vous aussi, et tout pour moi! Tout ce qui sera doux et savoureux, je le veux pour vous, et non pour moi! Tout ce qui sera âpre et pénible, je le veux pour moi, et non pour vous! Ô mon Dieu, combien sera douce pour moi votre présence, puisque vous êtes le souverain bien! Je veux m’approcher de vous en silence et découvrir vos pieds divins, afin que vous trouviez bon de m’unir à vous, en prenant mon âme pour épouse; et je ne me réjouirai qu’entre vos bras. Et maintenant, je vous en supplie, ô Seigneur, ne me délaissez jamais, moi qui pour vous ai méprisé mon âme!
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